Sagrada Familia : la main de Dieu sur Antoni Gaudi

01/08/2025

Antoni Gaudi (1852-1926), surnommé "l'architecte de Dieu", voulait un temple parfait à Barcelone. Plus de 140 ans après,  le prodige semble s'être accompli : la basilique inachevée de la Sagrada Família (Sainte Famille), financée uniquement par des dons et prisée par 20 millions de visiteurs, est couronné comme "le plus beau bâtiment au monde", avec "l'intérieur le plus remarquable", et bientôt "la tour la plus haute"

Conçue comme "une Bible en pierre", chaque coin, aussi petit soit-il, renferme un caractère symbolique, dans un lien sublime entre ciel et terre, entre art et liturgie. Le pape Benoît XVII l'a consacrée en 2010 comme le chef-d'oeuvre unissant "beauté des choses" et "Dieu comme la Beauté", et qui rayonne dans le monde entier en éclairant aussi bien les fidèles que les non-croyants.

Église expiatoire, la Sagrada Familia se présente comme une imitation de l'histoire de Jésus-Christ lui-même, né à Nazareth, pays "du néant", et qui avec le temps, se révèle être le centre du monde comme de l'histoire. La tour de Jésus-Christ est la dernière structure à devoir être construite pour achever la célèbre basilique de Barcelone. 

Cette tour sera la plus haute : elle mesurera 172,5 mètres et sera couronnée d'une croix géante pouvant accueillir 11 personnes. Son inauguration officielle, en 2026, coïncidera avec le centenaire de la mort d'Antoni Gaudí, d'ores-et-déjà déclaré vénérable par le Pape François le 14 avril 2025 qui a reconnu ses vertus héroïques, et dont la canonisation est désormais instruit à Rome.

Petit tour d'horizon !

SAGRADA FAMILIA : "L'INTÉRIEUR LE PLUS REMARQUABLE DU MONDE"

Une structure intérieure révolutionnaire

La forêt spirituelle conçue par Gaudi pour offrir aux fidèles une ambiance de prière et de recueillement à l'intérieur du temple représente l'apogée technique et artistique de l'architecte. Inspiré par les grandes cathédrales médiévales, Gaudi proposa pour la Sagrada Familia de réinterpréter le style gothique en tant que concept nécessaire pour symboliser l'union étroite entre le Ciel et la Terre à travers la hauteur et la lumière. 

Pour ce faire, les murs devaient être garnis de grandes fenêtres et, par conséquent, ne devaient pas supporter le poids de l'édifice. C'est ainsi qu'il trouva - apr!ès de nombreuses années d'études - la solution des colonnes structurées en arbre, un système innovant et jamais utilisé jusqu'alors, où les charges se transmettent à travers les ramifications, des colonnes jusqu'au sol.

L'obsession de la lumière

L'une des préoccupations majeures de Gaudi au moment d'alléger les murs et les voûtes du temple était de permettre à la lumière - symbolisant la présence de Jésus-Christ - d'entrer à l'intérieur de la basilique à travers de multiples ouvertures. La solidité de la structure portante permit de pratiquer dans les voûtes de grandes lucarnes formées par les hyperboloïdes qui, unies aux énormes ouvertures pratiquées dans les murs, éclairent l'intérieur de manière harmonieuse et uniforme. 

Les diffuseurs imaginés par l'architecte pour couvrir ces grandes ouvertures sur le plafond filtrent la lumière naturelle et apportent une atmosphère idéale de recueillement et de prière dans l'espace des nefs. Ainsi, les offices vespéraux sont accompagnés d'un éclairage se rapprochant le plus possible en quantité, qualité et nuances à la lumière naturelle qui pénètre dans la basilique durant la journée.

De la même façon, les grandes baies ogivales et les rosaces d'inspiration néogothique qui entourent le temple sont pensées par Gaudi pour intégrer un nouveau type de vitrail à partir d'un système qui consistait à superposer trois verres de couleur primaire afin de créer de nouvelles tonalités. Les formes abstraites prédominent, combinant un entrecroisement de lignes droites et de lignes courbes pour marquer la composition et lui donner du dynamisme. Face à cette abstraction formelle, il est sélectionné habilement la palette de couleurs et de tonalités pour chaque vitrail, en évitant les mélanges de tons froids et chauds qui caractérise les vitraux médiévaux, générant ainsi une atmosphère presque surnaturelle grâce à la qualité de la lumière et au reflet des dessins sur les murs du temple. 

Une décoration symbolique extraordinaire

L'exceptionnelle personnalité artistique d'Antoni Gaudi s'exprime également dans la crypte, à travers les détails ornementaux réalisés en pierre sculptée polychrome, en mosaïque, fer forgé, verre et autres matériaux divers. Il remplaça ainsi les ornements corinthiens prévus pour les chapiteaux par des motifs végétaux, conformément à sa conception naturaliste de l'architecture. Plus flagrant encore, il recourt à Mère Nature dans l'abside, sur les murs extérieurs, où il reproduit de manière très audacieuse des animaux et des plantes, à la place d'êtres imaginaires. Une multitude de reptiles, amphibiens et d'espèces d'autres règnes, considérés à l'époque comme des animaux de catégorie inférieure. Ces êtres liés au mal depuis l'Antiquité, sont placés à plat ventre sur les murs, et fuient le pouvoir mystique des symboles qui couronnent les tours de Jéssus et de Marie, semblant déambuler sur la façade sans pouvoir entrer à l'intérieur du temple.




"Au Temple de la Sagrada Familia, les pauvres sont attachés aux murs comme des moules sur des rochers", a fait remarquer le peintre Joaquin Mir à Gaudí. Ce dernier, impressionné par la description graphique, a répondu « et où pourraient-ils recevoir une meilleure protection sinon dans l'ombre de cette église, fruit de la charité chrétienne? » D'où le surnom approprié de "Cathédrale des pauvres", dans une "cartographie du sacré, une grande carte ouverte où le monde peut lire les grandes questions de la vie, de l'origine et de la fin, du ciel et de la terre" (cardinal Luís Martínez Sistach). "Parce qu'elle ouvre les cœurs, même les plus fermés, en créant une fissure où l'Esprit peut entrer. (...) Car lorsqu'on entre, on reste bouche bée, admiratif, c'est un chef-d'œuvre de la via pulchritudinis, la voie de la beauté, qui ouvre à la foi" (le recteur Josep Maria Turull). 

Ce n'est pas moi qui construis la Sagrada Familia, c'est elle qui me construit. (Antoni Gaudi)

Résumé

Tout commence en 1866, avec la création de l'association des dévots de Saint-Joseph. Son projet : faire construire une église dédiée à la Sainte Famille. Un premier architecte est choisi, un certain Francisco de Paula del Villar y Lozano (1828–1901), et le chantier débute en 1882, par les fondations. Mais rapidement, l'architecte et le commanditaire se fâchent, et c'est finalement Antoni Gaudí (1852–1926) qui remporte le projet de la basilique. L'Espagnol a alors à peine à 31 ans ! Ce sera le projet de sa vie, puisqu'il y travaillera sans relâche jusqu'à sa mort, 42 ans plus tard.

Sa conception est autrement plus audacieuse que celle de son prédécesseur. Pour la mener à bien, car il sait qu'il ne verra pas la fin de la construction, Gaudí installe son atelier directement dans l'église – à la fin de sa vie, il se met même à y dormir, s'isolant de tous, habité d'une ferveur religieuse de plus en plus prenante. Il conçoit tout, l'architecture, les décors, les mosaïques, le mobilier liturgique… Son ambition est immense, puisqu'il souhaite construire le plus haut bâtiment de Barcelone, avec 18 tours culminant jusqu'à 172 mètres de hauteur !

Ce qu'il faut savoir sur la Sagrada Família ? Une forêt de pierre… C'est sans doute l'impression qui domine chez les visiteurs de ce stupéfiant monument. Gaudí a élu la nature pour inspiratrice, et s'est écarté de l'inspiration gothique pour privilégier la souplesse des lignes organiques ; ses colonnes ressemblent à des arbres, et leurs branches remplacent les traditionnels arcs-boutants. Car pour satisfaire ses ambitions esthétiques, Gaudí a dû trouver des solutions innovantes, en multipliant les maquettes (disposées au-dessus d'un miroir, elles lui donnaient une idée précise de la répartition des poids) : les colonnes-arbres sont ainsi de parfaits éléments porteurs, grâce à leur base paraboloïdale et leur branches arborescentes qui leur permettent de supporter le poids des voûtes

Si le bâtiment est parfaitement conçu, sa construction a été ralentie, déjà du vivant de son auteur, par le manque d'argent : car la Sagrada Família est un temple expiatoire (censé racheter les péchés des hommes), son financement dépend des dons, de l'aumône et, aujourd'hui, des billets d'entrée payants. À cela s'ajoutent un incendie, en 1936, qui a fait disparaître une bonne partie des archives de Gaudí, et puis les guerres civile (1936–1939) et mondiales, les crises financières… Cette année, le président de l'organisation en charge de l'édifice, Esteve Camps, a confirmé l'achèvement de sa construction pour 2026 – même si certaines parties, comme l'escalier monumental de l'entrée (qui impliquerait le déplacement de mille familles et entreprises du quartier, et dont la construction fait polémique) ne seront pas terminées avant 2034.

Antoni Gaudi : l'histoire d'une vie pour l'éternité

Doté d'une intuition et d'une capacité créative hors du commun, Gaudí concevait ses immeubles de manière globale, depuis les questions structurales jusqu'aux aspects fonctionnels et décoratifs. Il étudiait ses créations dans les moindres détails, intégrant à l'architecture toute une série d'ouvrages artisanaux dont il maîtrisait les techniques à la perfection : la céramique, la verrerie, la ferronnerie, la charpente, etc. C'est ainsi qu'il introduisit de nouvelles techniques dans le traitement des matériaux, comme son trencadis, fait de pièces de céramiques cassées.

Son art a pour objet principal un christianisme proposé et perçu comme un mode de vie, la croissance de sa propre personne, celle de ses collaborateurs et de ses travailleurs, puis celle des visiteurs. Un art de vivre capable d'embrasser toutes les dimensions de la réalité dans une perspective chrétienne. L'architecte Antoni Gaudí, a consacré toute sa vie professionnelle à la construction de la Sagrada Familia. 

Comme Benoît XVI l'a résumé dans l'homélie de la dédicace: « Et il a accompli ce qui est l'une des tâches les plus importantes aujourd'hui : surmonter la division entre la conscience humaine et la conscience chrétienne, entre l'existence dans ce monde temporel et l'ouverture à la vie éternelle, entre la beauté des choses et Dieu en tant que Beauté. Antoni Gaudí n'a pas réalisé tout cela avec des mots, mais avec des pierres, des lignes, des surfaces et des sommets. En réalité, la beauté est le grand besoin de l'homme ; elle est la racine à partir de laquelle se dressent le tronc de notre paix et les fruits de notre espérance. La Beauté est aussi révélatrice de Dieu car, comme lui, la belle œuvre est pure gratuité, invite à la liberté et arrache de l'égoïsme ».

Déjà en 1875, les dévots de Saint-Joseph publient dans leur magazine [3] la première note qui parle du désir de construire une église. Celle-ci dit : « Quant aux moyens pour mener à bien une entreprise aussi ardue que la construction du Temple, il nous en faudra beaucoup, mais comme nous avons une confiance aveugle dans la protection de saint Joseph, nous n'avons pas peur qu'il puisse toucher le cœur des fidèles afin que chacun puisse y contribuer selon ses possibilités. L'aumône des pauvres et des veuves, ainsi que celle des millions de personnes, sera une expression de l'Évangile ». [4] La transformation du cœur apparaît encore dans le document de la pose de la première pierre de la Sagrada Familia : « [Puisse cette construction] réveiller de leur tiédeur les cœurs endormis. Exalter la Foi, donner de la chaleur à la Charité. Puisse-t-elle contribuer à la miséricorde du Seigneur sur cette terre » (7 novembre 2010).

Un chantier de construction d'une église expiatoire a été lancé, qui a été radicalement modifié par rapport au projet initial, non pas en fonction de la situation sociopolitique, mais en correspondance avec le but qui l'avait inspiré. Cette inspiration initiale est modifiée jusqu'à celle que nous connaissons aujourd'hui, à partir de l'année 1837. Gaudí a succédé à un premier architecte, Francisco de Paula del Villar, qui avait déjà élaboré un projet. Les modifications substantielles apportées par Gaudí se révèlent dérivées de sa vigueur humaine et spirituelle. Gaudi lui-même, lorsqu'on l'a interrogé en tant qu'auteur du temple, a répété : «Ce n'est pas moi qui construis la Sagrada Familia, c'est la Sagrada Familia qui me construit», soulignant sa soumission à la mission. Dans un crescendo de la foi, Gaudí a fait siennes les vertus chrétiennes et en a fait l'inspiration et le critère pour déterminer les étapes de la construction, en interprétant les circonstances comme des invitations à des changements spirituels personnels, ce qui a aussi directement affecté le travail qu'il faisait.

Une église fruit exclusif de l'aumône

Voici comment Gaudi s'adressait à ses ouvriers : « À la Sagrada Familia, tout est providentiel, même mon entrée en tant qu'architecte, mais surtout l'importante donation que j'ai reçue au début des travaux et qui a permis de donner de l'importance au Temple et de construire la façade que nous sommes en train de terminer. S'il n'y avait pas de fonds, nous l'aurions conçue de manière plus modeste. Mais même la misère actuelle est providentielle. Parce que de cette façon, j'ai pu étudier toutes les parties moi-même, parce que s'il y avait trop d'argent, je passerais la journée à organiser le travail, en revanche, en allant petit à petit, on peut penser à des solutions pour chaque situation, sans tomber dans les répétitions industrielles »

Et il poursuit : "On profite de la lenteur forcée que subissent les œuvres pour qu'elles gardent un rythme de perfection croissante. Même les cas qui auraient pu être répétés, maintenant, avec beaucoup de temps, nous pouvons les étudier à nouveau afin d'améliorer le résultat. Je reconnais également que les choses que je dis s'inscrivent dans une vision optimiste des faits, mais sans optimisme, des travaux importants ne peuvent être réalisés. (...) Toutes les choses méritent l'attention, elles sont toutes très complexes et, au fond, il y a toujours des raisons mystérieuses pour lesquelles notre limitation se perd. Passer à la légère sur les faits est une animosité (un confort de la bête). Pour pénétrer dans les choses, il faut les poursuivre patiemment ; la patience obtient tout, et la patience est la constance dans la peine inévitable ; il faut faire et refaire parce que la raison est une force interne et il faut l'appliquer en étant à l'intérieur des faits et non de l'extérieur."

Cette citation reflète bien l'âme qui a caractérisé Gaudí et imprégné son œuvre dans la Sagrada Familia. Un travail qui a besoin d'aumônes pour subvenir à ses besoins. Une fois la journée de travail terminée, s'il n'y avait pas assez d'argent pour payer les travailleurs, Gaudí allait personnellement de maison en maison dans les différents quartiers de la ville, reçu par des citoyens de tous horizons. Josep Maria Boccabella, qui accompagnait Gaudí, a déclaré : « Je ne demande pas pour moi, je demande pour la maison de Dieu, la maison de la Sagrada Familia. »

Antoni Gaudi faiseur de miracles ?

D'après Vatican Insider, Antoni Gaudi pourrait être bientôt béatifié. L'association qui prône la béatification de Gaudí a commencé à répertorier des cas de miracles présumés qui pourraient lui ouvrir les portes de la sanctification. Le dossier sera transmis au Vatican, où il devra être validé par deux commissions, l'une scientifique, l'autre théologique. 

Le cas le plus récent concerne Ramón Amargant, un catholique pratiquant de 62 ans. Cet habitant de Canet de Mar, en Catalogne, a subi trois interventions successives pour qu'on lui implante une prothèse de titane. Ces opérations s'étaient soldées par une plaie ouverte qui suppurait en permanence. Or son état s'est amélioré de façon spectaculaire en quarante-huit heures. "La plaie a cicatrisé et je n'éprouve aucune gêne. Les médecins ne s'expliquent pas le phénomène." Ce n'est pas la première fois que M. Amargant demandait de l'aide à Gaudí. Ses prières sur la tombe de l'architecte, dans la crypte du temple, pour la guérison d'un ami atteint de cancer, ont apparemment été exaucées. "Je ne crois pas qu'un être humain puisse avoir commencé la Sagrada Familia sans intercession divine", confie-t-il.

Le vice-postulateur de la cause de la béatification et recteur de la Sagrada Familia, le prêtre Lluís Bonnet, a raconté un autre épisode "surnaturel" relaté par son propre protagoniste, le photographe Andreu Català. Le 6 février 2002, rapporte ce dernier, il faisait des photos du haut de la grue qui se dresse dans la nef centrale de la Sagrada Familia. Un brusque coup de vent lui fit soudain perdre l'équilibre, et l'un de ses objectifs tomba de 90 mètres de haut. Craignant d'avoir blessé quelqu'un, il invoqua aussitôt Gaudí. Il chercha en vain l'objectif : impossible de mettre la main dessus. Un mois et demi plus tard, il retrouva l'objet au pied de la grue. L'objectif, bien que rempli d'eau, était intact. Il portait deux marques attestant de sa chute.

Un livre récemment publié par l'Association pour la béatification d'Antoni Gaudí, présidée par l'architecte José Manuel Almuzara, fait état de nombreuses faveurs apparemment obtenues grâce à l'intercession du créateur de la Sagrada Familia : retrouvailles familiales, emploi, aides pour obtenir un logement. Beaucoup de ces témoignages proviennent d'Amérique latine. 

L'ouvrage comprend une lettre du Polonais Stanislaw Dziwisz, jadis fidèle secrétaire de Jean-Paul II et actuel cardinal de Cracovie. Dans ce document daté de juin 2006, il se déclare un fervent admirateur de "l'architecte de Dieu". "J'avoue que la lecture de la biographie – en polonais ! – que vous m'avez offerte lors de mon séjour à Barcelone avec le pape m'a profondément ému, écrit-t-il. Je prie tout particulièrement pour cette béatification, que j'appelle de tous mes vœux." Et de conclure : "Pour ma part, je vous encourage à prier pour la prompte béatification de cet autre serviteur de Dieu, Jean-Paul II."