Corps intacts et intègres

18/06/2025

Un signe de Dieu ? Le phénomène des corps incorrompus des saints fascine aussi bien les croyants que les scientifiques depuis des siècles. Ces corps, qui résistent à la décomposition, sont considérés comme des signes tangibles de la sainteté de ceux qui ont consacré leur vie à Dieu. Ce mystère, qui nous relie à ce qui est transcendant, revêt une signification théologique profonde et nous inspire également à réfléchir sur le destin final de l'être humain et la réalité de la vie éternelle.

Intact, intègre, incorruptible ou incorrompu ?

Pour la bonne compréhension du langage propre à la procédure canonique voici quelques définitions exactes :

- Corps "intact" voire "incorruptible" ou "incorrompu" : qui subit peu ou pas de putréfaction, évitant le processus normal de décomposition après la mort. Autrement dit, selon le sociologue des religions Jacques Maître, il s'agit d'un "corps défunt qui reste comme vivant puisqu'il ne se décompose pas, et/où le corps vivant est comme éternisé dans la mort, puisqu'il ne connaît ni alimentation ni excrétion"

- Corps "intègre" : qui est muni de tous ses organes mais qui subit le processus normal de décomposition.

Six signes de l'incorruptibilité physique

La première étude des cas d'incorruptibilité physique a été faite par Herbert Thurston, un prêtre catholique anglais de la fin du XIXe siècle. Il a décrit six caractéristiques, devenues depuis autant de pièces à conviction lors des procès en béatification. Elles sont les suivantes :

  • La présence d'un parfum suave émanant du corps ;
  • L'absence de rigidité cadavérique ;
  • La persistance d'une certaine tiédeur du cadavre ;
  • L'absence de putréfaction ;
  • Des écoulements anormaux comme de l'huile ou du sang ;
  • Et enfin des mouvements post mortem.

Cependant, la tradition d'allier ce phénomène inhabituel à la sainteté est très ancienne. C'est saint Cyrille (vers 315‑387), évêque de Jérusalem, qui le premier en a posé le principe :

"Même lorsque l'âme s'est enfuie, sa vertu et sa sainteté imprègnent encore le corps qui l'a hébergée".

En 1215, sous l'impulsion du Pape et grand canoniste Innocent III, le concile de Latran a décidé de classer les "signes" physiques de sainteté, comme l'incorruptibilité des corps, derrière les vertus manifestées par le saint de son vivant. À ce sujet, Christiane Rancé, auteur du Dictionnaire amoureux des saints, s'étonne. "Comment ne pas accorder d'importance à ce phénomène dans une religion justifiée par le mystère de l'Incarnation ? Celle de Dieu fait homme ? (…) "Comme le signifie saint Cyrille, l'apparence du corps mort est censée révéler la vraie nature du défunt. Aussi, parmi les critères de sainteté, l'Église des premiers siècles retient d'emblée l'incorruption du cadavre car il s'agit de l'irradiation de la présence de Dieu, d'une manifestation de l'âme. C'est tout le mystère de la sainteté".

Ils sont nombreux, les saints dont le corps a été préservé de la putréfaction naturelle après leur décès. Constat parfois fait par hasard, lors de l'ouverture du cercueil des années après l'enterrement, pour y extraire un doigt ou un coeur comme relique miraculeuse. C'est notamment le cas de sainte Thérèse d'Avila, comme le précise toujours Christiane Rancé dans son ouvrage sur la vie de la mystique espagnole. Huit mois après sa mort, en juin 1583, le provincial Jérôme Gracian fait exhumer son corps au prétexte d'offrir à Thérèse une sépulture plus digne d'elle. Il explique alors qu'elle était "si entière" dans son corps féminin que lui et son compagnon sortirent de la pièce pendant qu'on la déshabillait… tellement son corps était "réel".

102 cas de saints incorruptibles recensés

On observe le même phénomène chez sainte Catherine Labouré (1806‑1876), Fille de la charité, à qui la Vierge est apparue dans la chapelle Notre-Dame-de-la-Médaille-miraculeuse de la rue du Bac à Paris. Aujourd'hui, les fidèles prient devant son corps intègre, exposé aux yeux de tous dans une châsse en verre. Les médecins qui l'avaient exhumé pour les besoins du procès en béatification, avaient alors découvert qu'il était "intact" alors que l'enterrement avait eu lieu cinquante-sept ans auparavant.

On peut citer beaucoup d'autres cas : sainte Catherine de Sienne, sainte Bakhita, saint Philippe Néri, sainte Bernadette Soubirous, saint Jean-Marie Vianney, Padre Pio... Joan Carroll Cruz, l'auteur de The Incorruptibles publié en 1977, poursuivant le recensement du père Thurston à l'aide de sources ecclésiastiques, a authentifié 102 cas d'incorruption des corps des saints. Il faut rappeler toutefois que le Vatican considère avec une extrême prudence ce phénomène car bien souvent les saints réputés incorruptibles ont été embaumés.

Le tombeau en partie transparent qui renferme le corps de Carlo Acutis laisse apparaître un adolescent bien dans son époque et bien réel. Vêtu d'un jean, de baskets et d'un sweat-shirt, il semble juste dormir, son visage et ses mains donnant l'impression déroutante d'être toujours en vie. "Le corps de Carlo Acutis, béatifié le 10 octobre 2020, n'a pas été retrouvé "intact" mais "intègre", c'est-à-dire muni de tous ses organes, a déclaré le père Carlos Acácio Gonçalves Ferreira, le recteur du sanctuaire de la spoliation d'Assise au moment de l'ouverture de la tombe du bienheureux le 1er octobre 2022. De son côté, au moment de l'exhumation du corps du jeune italien en juin 2018 - conformément aux règles du procès en béatification - son postulateur Nicola Gori a annoncé que le processus de décomposition de ses restes n'avait pas affecté le corps du garçon.

Cependant, a-t-il souligné à l'époque, "l'enthousiasme devrait être modéré avant qu'une recherche appropriée ne soit effectuée". Sa mise en garde était compréhensible, car cette nouvelle a enflammé immédiatement l'imagination de nombreux fidèles qui perçoivent le phénomène des corps "incorruptibles" voire "intacts" comme un signe visible de sainteté. Si finalement le corps de Carlo Acutis est dit "intègre" et non pas "intact", les attentes autour de l'incorruptibilité des corps des saints provoquent bien un véritable questionnement. Pourquoi cet état, non explicable par la science la plupart du temps, est mis en valeur par l'Église ? Est-ce l'intervention divine qui permet à certains corps humains de demeurer "intacts" voire "incorrompus" après la mort ?

Un phénomène extrêmement rare

Pour Gilles de Percin, membre du Service catholique des funérailles, il s'agit tout d'abord d'un phénomène extrêmement rare. Il serait de l'ordre de 1 pour 1000 cas. En vingt ans de travail, il a rencontré ce phénomène deux fois, notamment en participant à l'exhumation du père Daniel Brottier (1876-1936), directeur de la fondation des orphelins Apprentis d'Auteuil, béatifié par le pape Jean Paul II en 1984 :

"En présence des personnes en charge de son dossier de béatification, j'ai sorti le corps du père Brottier de son caveau. Ma tête était tout proche de la sienne. Il était nu. Ses vêtements se sont désintégrés, mais son corps est resté entier, intact, jusqu'à ses doigts de pied, ses cheveux et ses ongles. Et une chose m'a frappé : son odeur très agréable, ce n'était pas le parfum de la rose ou de la violette, mais une odeur agréable".

Toujours populaire depuis sa première parution en 1977, Les Incorruptibles demeure un classique reconnu sur les corps des saints qui n'ont pas subi de décomposition après leur mort. Nombre d'entre eux sont restés frais et souples pendant des années, voire des siècles. Après avoir expliqué la momification naturelle et artificielle, l'auteur démontre que l'incorruptibilité des corps des saints ne relève d'aucune de ces catégories, mais constitue plutôt un phénomène bien plus vaste, inexpliqué par la science moderne à ce jour. L'auteur présente 102 saints, bienheureux et vénérables canonisés, résumant leur vie, la découverte de leur incorruptibilité et les investigations menées par les autorités ecclésiastiques et médicales. Les corps incorruptibles des saints sont un signe consolant de la victoire du Christ sur la mort, une confirmation du dogme de la Résurrection des Corps, un signe que les saints sont toujours parmi nous dans le Corps mystique du Christ, et une preuve de la véracité de la foi catholique – car ce phénomène n'est observé que dans l'Église catholique.

Liste des Saints catholiques intacts ou intègres

L'auteur catholique Joan Carroll Cruz poursuit le recensement du père Thurston à l'aide de sources ecclésiastiques. Elle énumère 102 noms, parmi lesquels on retrouve, classés par dates de décès :

XIIIème siècle

  • Sainte Rose de Viterbe († 1252), corps frais et souple pendant de nombreuses années, aujourd'hui quasiment momifié, il est exposé dans l'église Santa Rosa à Viterbe
  • Sainte Zita de Lucques († 1278), corps parfaitement intact mais bruni, exposé dans la Basilique San Frediano

XIVème siècle

  • Sainte Claire de Montefalco († 1308), corps incorrompu jusqu'en 1880, aujourd'hui légèrement momifié, exposé dans l'église Santa Chiara à Montefalco
  • Sainte Marguerite de Castello († 1320), corps incorrompu, légèrement desséché, exposé dans l'église San Domenico de Città di Castello
  • Bienheureuse Roseline de Villeneuve († 1329), corps frais et souple jusqu'en 1835, aujourd'hui toujours intact bien que bruni. Ses yeux notamment sont préservés de toute corruption. Exposé dans la chapelle Sainte-Roseline à Les Arcs (Var).
  • Bienheureuse Imelda Lambertini († 1333), corps parfaitement intact pendant de nombreuses années, aujourd'hui recouvert d'un masque de cire. Exposé dans l'église San Sigismondo à Bologne
  • Sainte Catherine de Sienne († 1380), corps intact pendant de nombreuses années. Sa tête, desséchée, est exposée dans la Basilique San Domenico (Sienne).

XVème siècle

  • Sainte Rita de Cascia († 1457), corps parfaitement intact mais bruni, exposé dans la Basilique de Cascia
  • Saint Antonin de Florence († 1459), corps souple jusqu'en 1589, aujourd'hui parfaitement intact mais desséché, exposé dans la Basilique San Marco à Florence
  • Sainte Catherine de Bologne († 1463), corps souple un mois après sa mort, si bien qu'on le positionna dans une posture assise dans une chapelle de l'église Corpus Domini de Bologne, où il est, intact mais momifié, toujours exposé.
  • Saint Jacques de la Marche († 1476), corps intact, légèrement bruni et séché, exposé dans l'église Santa Maria delle Grazie à Monteprandone.

XVIème siècle

  • Saint François Xavier († 1552), corps parfaitement intact pendant plusieurs années, aujourd'hui quasiment momifié. Il est exposé dans la Basilique du Bon Jésus de Goa
  • Saint Benoît le More († 1589), corps retrouvé parfaitement intact en 1807, il l'est toujours aujourd'hui, bien que desséché. Il était exposé dans l'église Santa Maria di Gesù à Palerme jusqu'à ce qu'un incendie détruise le corps, sauf la tête, en juillet 2023.
  • Saint Jean de la Croix († 1591), corps intact, souple et exhalant une odeur suave un an après sa mort. Incorruptible jusqu'en 1859.

XVIIème siècle

  • Bienheureux Antonio Franco († 1626), corps intact, exposé dans la cathédrale de l'Assomption de Santa Lucia del Mela
  • Sainte Virginie Centurione († 1651), corps parfaitement intact et souple en 1801, aujourd'hui en partie momifié mais toujours incorruptible. Exposé à Gênes.
  • Saint Vincent de Paul († 1660), corps intact pendant de nombreuses années, aujourd'hui recouvert d'un masque de cire, il est exposé dans la chapelle des lazaristes à Paris

XVIIIème siècle

  • Servante de Dieu Ursula Micaela Morata († 1703), corps intact et souple, bien que desséché, exposé dans l'église des capucines d'Alicante.
  • Saint Crispin de Viterbe († 1750), retrouvé incorrompu en 1959, reposant à Rome dans l'église Santa Maria della Concezione dei Cappuccini à Rome

XIXème siècle

  • Saint Jean-Marie Vianney († 1859), corps intact, légèrement desséché, visage recouvert d'un masque de cire, actuellement exposé dans la Basilique d'Ars-sur-Formans
  • Sainte Catherine Labouré († 1876), corps parfaitement intact et souple en 1933, aujourd'hui recouvert d'un masque de cire et exposé dans la chapelle Notre-Dame-de-la-Médaille-miraculeuse à Paris. Ses yeux ne comportent aucune trace de putréfaction, si bien qu'ils sont ouverts.
  • Sainte Bernadette Soubirous († 1879), corps retrouvé parfaitement intact avec le visage légèrement bruni en 1909, raison pour laquelle on y apposa un masque de cire. Toujours exceptionnellement bien conservé, il est exposé dans l'église Saint Gildard à Nevers
  • Saint Charbel Makhlouf († 1898), corps parfaitement intact et suintant de l'huile, avec notamment la croissance légère de la barbe et des ongles observé par les médecins légistes. Il est aujourd'hui exposé au couvent maronite d'Annaya au Liban
  • Bienheureuse Marie du Divin Cœur († 1899), corps intact, légèrement bruni, actuellement exposé dans l'église du Sacré-Cœur de Jésus à Ermesinde

XXème siècle

  • Sainte Jacinthe Marto († 1920), corps retrouvé parfaitement intact lors de son exhumation en 1935 et 1950, à tel point que les témoins affirmèrent avoir eu l'impression de la voir dormir.
  • Bienheureux Piergiorgio Frassati († 1925), corps retrouvé parfaitement intact en 1981 et dégageant une odeur suave.
  • Saint Louis Orione († 1940), corps intact mais desséché, aujourd'hui exposé dans le sanctuaire Notre-Dame-de-la-Garde à Tortone.
  • Sainte Joséphine Bakhita († 1947), corps intact et souple en 1967, aujourd'hui recouvert d'un masque de cire, exposé dans l'église paroissiale de Schio.
  • Saint Gaétan Catanoso († 1963), corps retrouvé intact, aujourd'hui recouvert d'un masque de cire et exposé dans le sanctuaire Volto Santo à Reggio de Calabre.
  • Saint Jean XXIII († 1963), corps retrouvé dans un bon état de conservation en 2000, aujourd'hui recouvert d'un masque de cire et exposé dans la Basilique Saint-Pierre à Rome
  • Bienheureuse Marie de saint Joseph Alvarado Cardozo († 1967), corps retrouvé parfaitement intact en 1994 malgré la décomposition quasi complète du cercueil. Aujourd'hui exposé dans le sanctuaire Madre Maria de San José à Maracay.
  • Saint Padre Pio († 1968), corps retrouvé parfaitement intact en 2008 et répandant une odeur suave. Son visage est aujourd'hui recouvert d'un masque en silicone. Son corps est exposé dans le sanctuaire de San Giovanni Rotondo.
  • Bienheureux Vasyl Velychkovsky († 1973), corps retrouvé parfaitement intact en 2001.
  • Bienheureuse Dulce Lopes Pontes († 1992), corps découvert intact mais bruni en 2010, aujourd'hui exposé dans l'église Imaculada Conceição da Madre de Deus de Salvador de Bahia

XXIème siècle

  • Bienheureux Carlo Acutis († 2006), corps retrouvé intact en 2018, aujourd'hui exposé au Sanctuaire de la Spogliazione à Assise

Vénérables et bienheureux catholiques

  • 1634 : Bienheureuse Agnès Galand de Jésus, de Langeac, dominicaine. Corps intact et suavement parfumé en 1653, actuellement desséché.
  • 1637 : Mère Jeanne-Charlotte de Bréchard, visitandine morte en odeur de sainteté. Corps parfaitement intact et souple, répandant une substance huileuse accompagnée d'une odeur suave. Réduite à l'état d'ossements après la Révolution, actuellement à Annecy.
  • 1847 : Blaise Marmoiton, martyr, religieux de la Société de Marie. Corps et tête (séparés) intacts et répandant une odeur suave, malgré immersion dans l'eau durant plusieurs jours.
  • 1903 : Bienheureuse Gertrude Comensoli, fondatrice des Sacramentines. Corps parfaitement incorrompu et souple lors de son exhumation.

Saints orthodoxes

  • 532 : Saint Sabas le Sanctifié
  • 1295 : Saint Basile de Riazan
  • 1331 : Saint Stefan de Decani
  • 1359 : Saint Grégoire Palamas
  • 1934 : Saint Alexis d'Ugine
  • 1956 : Saint Nicolas d'Ochrid

Conservé dans la basilique Saint-François à Assise en Italie, le corps du bienheureux Carlo Acutis, fêté le 12 octobre, n'est pas "incorruptible", mais "intègre"

Le tombeau en partie transparent qui renferme le corps de Carlo Acutis laisse apparaître un adolescent bien dans son époque et bien réel. Vêtu d'un jean, de baskets et d'un sweat-shirt, il semble juste dormir, son visage et ses mains donnant l'impression déroutante d'être toujours en vie. "Le corps de Carlo Acutis, béatifié le 10 octobre 2020, n'a pas été retrouvé "intact" mais "intègre", c'est-à-dire muni de tous ses organes, a déclaré le père Carlos Acácio Gonçalves Ferreira, le recteur du sanctuaire de la spoliation d'Assise au moment de l'ouverture de la tombe du bienheureux le 1er octobre 2022. De son côté, au moment de l'exhumation du corps du jeune italien en juin 2018 - conformément aux règles du procès en béatification - son postulateur Nicola Gori a annoncé que le processus de décomposition de ses restes n'avait pas affecté le corps du garçon.

Cependant, a-t-il souligné à l'époque, "l'enthousiasme devrait être modéré avant qu'une recherche appropriée ne soit effectuée". Sa mise en garde était compréhensible, car cette nouvelle a enflammé immédiatement l'imagination de nombreux fidèles qui perçoivent le phénomène des corps "incorruptibles" voire "intacts" comme un signe visible de sainteté. Si finalement le corps de Carlo Acutis est dit "intègre" et non pas "intact", les attentes autour de l'incorruptibilité des corps des saints provoquent bien un véritable questionnement. Pourquoi cet état, non explicable par la science la plupart du temps, est mis en valeur par l'Église ? Est-ce l'intervention divine qui permet à certains corps humains de demeurer "intacts" voire "incorrompus" après la mort ?