Expressions françaises d'origine biblique

04/08/2025

"Passer au crible", "servir de bouc émissaire", "pleurer comme une Madeleine", "se faire l'avocat du diable", "prêcher dans le désert", "être attendu comme le Messie"... La langue française regorge d'expressions d'origine biblique. Une mine de formules imagées et de points de repère fondamentaux qui constituent une "théologie du quotidien". Accessible à tous, elle donne envie d'approfondir la Bible, les paraboles, et d'éplucher la lettre comme l'esprit de Dieu. Plus de 700 de ces expressions sont d'ores-et-déjà commentées dans la collection Bible pratique, ainsi que dans le bel ouvrage "Expressions bibliques expliquées"la chaîne Youtube de Celestine Legros, ou Ressources chrétiennes. Petit aperçu :

CRIER SUR LES TOITS

Cela signifie la diffusion intempestive et généralisée d'une information qu'on aurait préféré gardée secrète. Or, l'expression vient tout droit de la Bible. Matthieu 10, 27 : "Ce que je vous dis dans les ténèbres, dites-le dans en plein jour, et ce qui vous est dit à l'oreille, proclamez-le sur les toits". Qui plus est, les toits sont souvent sous forme de terrasse en Orient, et on s'y réunissait pour bavarder et, occasionnellement, prêcher la bonne parole. 

PLEURER COMME UNE MADELEINE

Marie, native de Magdala, une petite ville près du lac de Tibériade, assista à la crucifixion du Christ. Cette Marie Madeleine était la pécheresse qui, pour exprimer son repentir, inonda les pieds du Christ de ses larmes. Après la résurrection, elle a apporté un flacon de parfum pour embaumer le corps de Jésus. Et Jean 20, 11-12 ajoute : "Marie Madeleine se tenait près du tombeau, au-dehors, tout en pleurs. Et en pleurant, elle se pencha vers le tombeau. Elle aperçoit deux anges vêtus de blanc, assis l'un à la tête et l'autre aux pieds, à l'endroit où avait reposé le corps de Jésus."

TOUCHER DU DOIGT

Cette expression signifie "être proche d'atteindre quelque chose, être convaincu de manière indiscutable, ou avoir une perception claire et évidente". C'est ce qui arrive à Thomas qui voit Jésus après sa résurrection et "touche du doigt" ses stigmates, la preuve concrète qu'il attendait tant. Après la Passion du Christ, les apôtres sont réunis un soir dans un lieu discret, aux portes closes, par crainte des Juifs. Jésus leur apparaît et leur montre ses mains et son côté. Mais Thomas n'est pas avec eux à ce moment, et lorsque les autres disciples lui rapportent la venue de Jésus, lui qui est pourtant un disciple de la première heure, qui a assisté aux miracles de Jésus et qui était prêt à mourir pour lui, n'arrive pas à les croire et à admettre la résurrection.

"Si je ne vois pas dans ses mains la marque des clous, si je ne mets pas mon doigt dans la marque des clous, si je ne mets pas la main dans son côté, non, je ne croirai pas !" (Jean 20, 25) Huit jours plus tard, alors que les disciples sont à nouveau réunis dans la maison, cette fois tous ensemble, Jésus leur apparaît et s'adresse directement à Thomas : "Avance ton doigt ici, et vois mes mains ; avance ta main, et mets-la dans mon côté : cesse d'être incrédule, sois croyant". Thomas lui répondit : Mon Seigneur et mon Dieu ! Jésus lui dit : Parce que tu m'as vu, tu as cru. Heureux ceux qui n'ont pas vu, et qui ont cru !" (Jean 20, 27-29).

LA PRUNELLE DE SES YEUX

C'est avoir une très grande importance. Être précieux pour quelqu'un. La personne qui nous donne cela, on ne peut se séparer de elle. Ainsi en est il d'abord de ce qui est important pour l'homme, comme dans le chapitre 7 du Livre des Proverbes : "Garde mes préceptes et tu vivras, garde mon enseignement comme la prunelle de tes yeux." (Pr 7, 2) On retrouve aussi l'expression dans le psaume 16, attribué au roi David : "Garde-moi comme la prunelle de l'œil ; à l'ombre de tes ailes, cache-moi."(Ps 16, 8) 

Mais c'est aussi ce qui est important pour Dieu. "Car ainsi parle le Seigneur de l'univers, lui dont la Gloire m'a envoyé aux nations qui vous dépouillèrent : Celui qui vous touche, touche à la prunelle de mon œil." (Za 2, 12) Ce qui a pu être vu aussi comme Israël "centre du monde", représenté par exemple dans la carte de Heinrich Bünting sous forme de feuille de trèfle. Mais toujours un Dieu attentif et attentionné dans le Deutéronome : "Il le trouve au pays du désert, chaos de hurlements sauvages. Il l'entoure, il l'élève, il le garde comme la prunelle de son œil." (Dt 32:10)

DÉFENDRE LA VEUVE ET L'ORPHELIN

L'expression défendre la veuve et l'orphelin est bien plus ancienne que le Moyen Âge. Depuis toujours, le duo veuve-orphelin symbolise de façon expressive la pauvreté et la grande fragilité de ceux qui se retrouvent sans mari, sans parents, soutiens humains indispensables pour survivre, à des époques où les femmes ne pouvaient recevoir de salaire et où les enfants sans famille étaient livrés à la rue. S'il est peu présent dans le Nouveau Testament, on le retrouve près d'une quarantaine de fois dans l'Ancien Testament, où les exhortations à prendre soin des plus démunis sont nombreuses : "Vous n'accablerez pas la veuve et l'orphelin." (Exode 22, 21)

Mais si la tradition a gardé le duo veuve-orphelin, elle n'a pas conservé la troisième catégorie de personnes qui leur est très souvent associée dans les Écritures : l'étranger. Accueillir et protéger l'étranger est ainsi pour les Hébreux une question d'identité, une leçon de leur histoire, eux aussi ayant été étrangers dans un autre pays. C'est lui [le Seigneur votre Dieu] qui rend justice à l'orphelin et à la veuve, qui aime l'immigré, et qui lui donne nourriture et vêtement. "Aimez donc l'immigré, car au pays d'Égypte vous étiez des immigrés" (Dt 10, 18-19). Ainsi "N'opprimez pas la veuve et l'orphelin, l'étranger et le pauvre, et ne méditez pas l'un contre l'autre le mal dans votre coeur." (Zacharie 7, 10)

AU PIED DE LA LETTRE

À propos d'une loi, d'une pensée ou d'un texte, on distingue la "lettre", c'est à dire le sens littéral exprimé au mot près, et "l'esprit", c'est à dire l'idée générale qui, sans trahir "la lettre", peut faire l'objet d'interprétations et d'applications nunancées. Suivre un règlement "à la lettre" relève parfois de la soumission bornée ; en respecter "l'esprit" suppose une souplesse et une profondeur qui ouvre au compromis. Même si à trop négliger "la lettre" on risque de succomber à des dérives coupables. L'idée est présente dans 2 Corinthiens 3, 6 : "Il (Dieu) nous a aussi rendus capables d'être ministres d'une nouvelle alliance, non de la lettre, mais de l'esprit : car la lettre tue, mais l'esprit vivifie." Oui, "C'est l'esprit qui vivifie, la chair ne sert de rien. Les paroles que je vous ai dites sont esprit et vie." (Jean 6, 63)

FAITES CE QUE JE DIS, PAS CE QUE JE FAIS

L'idée se trouve, en des termes à peine différents, dans la bouche de Jésus au moment du fameux dialogue avec les pharisiens, Matthieu 23, 3 : "Faites donc et observez tout ce qu'ils (les pharisiens et les scribes) vous disent ; mais n'agissez pas selon leurs oeuvres. Car ils disent, et ne font pas." Résultat : "Malheur à vous, scribes et pharisiens hypocrites ! Parce que vous fermez aux hommes le royaume des cieux ; vous n'y entrez pas vous-mêmes, et vous n'y laissez pas entrer ceux qui veulent entrer." (Matthieu 23, 13) Le texte biblique dénonce la faute de conseilleurs malhonnêtes ; l'expression usuelle, à la première personne, attribue l'injonction au conseilleur, lui-même supposé au-dessus des lois.

ETRE BLANC COMME NEIGE

L'expression trouve son origine dans le Livre d'Isaie 1, 18 : "Venez et plaidons! dit l'Éternel. Si vos péchés sont comme le cramoisi, ils deviendront blancs comme neige. S'ils sont rouges comme la pourpre, ils deviendront comme la laine." Cependant, l'idée de purification par le blanchiment est présente dans plusieurs versets, notamment dans Apocalypse 7, 14 : "Je lui dis : Mon Seigneur, tu le sais. Et il me dit : Ce sont ceux qui viennent de la grande tribulation ; ils ont lavé leurs robes, et ils les ont blanchies dans le sang de l'agneau. C'est pour cela qu'ils sont devant le trône de Dieu, et le servent jour et nuit dans son temple." Cette métaphore souligne la purification et le pardon divin accordés à ceux qui se repentissent sincèrement. De nos jours, l'expression est utilisée pour décrire une innocence ou une pureté non entachée par des fautes ou des erreurs. Elle sert à exprimer la notion de pureté morale ou d'absence de culpabilité.

A LA SUEUR DE TON FRONT

C'est l'une des conséquences du péché d'Adam, Genèse 3, 17-19 > "Dieu dit à l'homme: «Puisque tu as écouté ta femme et mangé du fruit au sujet duquel je t'avais donné cet ordre: 'Tu n'en mangeras pas', le sol est maudit à cause de toi. C'est avec peine que tu en tireras ta nourriture tous les jours de ta vie. Il te produira des ronces et des chardons, et tu mangeras de l'herbe des champs. C'est à la sueur de ton front que tu mangeras du pain, et ce jusqu'à ce que tu retournes à la terre, puisque c'est d'elle que tu as été tiré. Oui, tu es poussière et tu retourneras à la poussière.»

(Ci-dessus : "Tu gagneras ton pain à la sueur de ton front de Madeleine Georges et Charlotte Lavanture, Beaux Arts de Paris) Il y a donc une dimension de peine et de douleur, associée à la nécessité de travailler pour vivre, dont l'auteur biblique pointe la réalité dès les premiers chapitres du livre de la Genèse en en faisant une conséquence du péché. Pourtant, la Bible a beaucoup plus à dire et à questionner sur le thème du travail. C'est d'abord Dieu qui travaille lorsqu'il crée. Le travail humain est donc collaboration à cet agir divin dans une finalité positive.

UNE MÈRE POULE

Une mère protectrice, attentionnée, veillant parfois de manière excessive à la sécurité et à la bonne santé de ses enfants. C'est la manière dont parle Jésus de Jérusalem : "Toi qui tues les prophètes et lapides ceux qui te sont envoyés, combien de fois ai-je voulu rassembler tes enfants comme une poule rassemble ses poussins sous ses ailes, mais vous n'avez pas voulu! (Matthieu 23, 37) Ce verset, que l'on retrouve dans Luc 23, 34, a sans nul doute contribué à faire de la poule le symbole de l'amour maternel.

Saint Paul prêchant aux Thessaloniciens (Gustave Doré Bible)

Plus clair encore, 1 Thessaloniciens 2, 7-13 : "Tout comme les parents dignes de ce nom se soucient du bien-être de leurs enfants, les bons pasteurs ont leur brebis à coeur et veulent les voir croître dans la foi. Paul est comme une maman poule ; il aime les Thessaloniciens de l'amour d'une mère et les porte dans son coeur." Paul est franc et direct, il ne mâche pas ses mots, ce qui peut donner l'impression de dureté, alors qu'en réalité, avec ceux qu'il a amenés à la foi, il est doux comme un nounours. Toujours "doux et humble de coeur".

QUI SÈME LE VENT RÉCOLTE LA TEMPÊTE

L'expression, devenue proverbiale, doit mettre en garde l'imprudent qui a déclenché un processus négatif : le mal peut se retourner contre lui. Elle prend son origine dans Osée 8, 7 : "Puisqu'ils ont semé du vent, ils moissonneront la tempête." La métaphore s'applique à certains Hébreux qui se sont détournés de Yahvépour adorer le Veau d'or. Ils encourent un châtiment proportionnel à leur faute : la destruction de leur ville (Samarie). L'adage s'adresse à tous les apprentis sorciers.

UNE GOUTTE D'EAU DANS LA MER

L'image d'une goutte d'eau dans la mer est employée pour exprimer l'idée que la réalité dont on parle est peu de chose. Cela peut valoir dans de multiples circonstances. Dans l'Ancien Testament, elle est appliquée aux individus et aux nations : Le Siracide 18, 8-10 "Qu'est-ce que l'homme ? Quelle est sa valeur ? (...) Une goutte d'eau dans la mer, un grain de sable. Voilà ses courtes années dans le temps de l'éternité." L'homme est infiniment petit dans l'espace et dans le temps, il n'est rien par rapport à Dieu. La leçon de modestie reste dans la même dans Isaïe 40, 15 : "Voici, les nations sont comme des gouttes d'eau d'un seau, on les prendrait pour la poussière de la balance."