2025 : certains manuscrits de la mer Morte pourraient avoir été écrits par les auteurs de la Bible hébraïque

11/09/2025

Des chercheurs de l'Université de Groningen (Pays-Bas), sous la coordination du Pr Mladen Popovic, ont combiné intelligence artificielle, carbone 14 et paléographie pour analyser les Manuscrits de la mer Morte. Résultat: certains d'entre eux sont tellement plus anciens qu'ils auraient été relatés "en direct" par les auteurs de la Bible hébraïque. En particulier le Livre de Daniel et l'Ecclésiaste, respectivement datés du IIe et IIIe siècle avant notre ère. De potentiels originaux, écrits des dizaines, voire des centaines d'années plus tôt que ce que les chercheurs pensaient jusqu'alors... Ici les conclusions scientifiques.

Ceci n'est pas sans rappeler les travaux paléographiques du Pr Carsten Peter Thiede, qui dès 1994, apportait la preuve matérielle que l'Evangile selon saint Matthieu est un témoignage oculaire écrit par des contemporains du Christ. Ce sont également les chercheurs néerlandais du Pr Popovic qui ont prouvé en 2021 que le Grand Rouleau d'Isaïe, le plus ancien et le mieux conservé des manuscrits hébreux, avait été écrit par deux auteurs.

Professeur Mladen Popovic, Université de Groningen (Pays-Bas)

Il faut dire que les manuscrits de la mer Morte sont essentiels pour comprendre les croyances, les pratiques et les questionnements du judaïsme ancien. Ces plus de 900 textes découverts entre 1947 et 1956 dans des grottes proches de Qumran (actuelle Cisjordanie), avaient été rédigés en hébreu, en araméen et en grec, entre le IIIe siècle av. J.-C. et le Ier siècle apr. J.-C,. selon les recherches communément admises. Ils incluent des copies de livres bibliques, des textes apocryphes, des règles communautaires. Mais leur datation exacte restait souvent incertaine, reposant sur des critères paléographiques (analyse des écritures anciennes) difficiles à objectiver.

C'est ce casse-tête des datations qu'une équipe de chercheurs de l'université de Groningue (Pays-Bas) a entrepris de résoudre. Dans une étude publiée dans PLOS One le 4 juin 2025, ils présentent Enoch, un modèle d'intelligence artificielle capable de dater les manuscrits à partir de leur style graphique, en croisant les résultats avec des mesures au radiocarbone.

L'IA au service des manuscrits anciens

En effet, si certains textes anciens comportent des dates précises, beaucoup d'autres ne contiennent aucune information temporelle. En étudiant l'évolution des styles d'écriture au fil du temps, les spécialistes peuvent parfois estimer l'âge de certains d'entre eux. Mais pour ce faire, ils doivent pouvoir disposer d'un corpus suffisant de manuscrits datés de manière fiable, afin d'établir une chronologie des typologies d'écriture. En outre, un facteur longtemps négligé pourrait avoir faussé certaines datations anciennes : l'huile de ricin, appliquée dans les années 1950 pour assouplir les parchemins, qui a contaminé les fibres.

Les auteurs de l'étude ont donc commencé à évaluer, à l'aide de la datation au carbone 14, l'âge de vingt-sept parchemins historiques provenant de divers sites situés dans l'actuel Israël et en Cisjordanie, préalablement soigneusement nettoyés à l'aide d'un traitement chimique spécifique conçu pour éliminer les résidus lipidiques. Ce qui a permis d'obtenir des dates de référence. Mais pour aller plus loin, ils se sont concentrés sur le texte en lui-même.

On sait en effet que les styles d'écriture ont tendance à varier de manière relativement cohérente au fil du temps dans une région donnée. En théorie, on peut donc extraire des motifs complexes d'un ensemble de textes manuscrits pour leur attribuer un âge : on parle de paléographie dans un deuxième temps.

Le problème, c'est que tous ces détails sont souvent trop subtils pour être analysés rigoureusement par des humains. Mais c'est précisément le genre de tâche qui convient parfaitement aux algorithmes de machine learning (IA), qui n'ont pas leur pareil pour faire émerger ce genre de motifs quasiment imperceptibles. En combinant ces deux approches complémentaires que sont la datation au radiocarbone et l'analyse paléographique, les auteurs de l'étude ont pu concevoir un système appelé Enoch, capable de déterminer l'âge d'un document avec une précision inédite.

Certes, puisque les deux méthodes comportent une part d'incertitude non négligeable, les résultats n'étaient pas parfaits. Pour environ 20% des 135 manuscrits testés, l'âge proposé par Enoch a été jugé trop incohérent pour être exploité. Mais les chercheurs estiment que les 80% restants étaient tout à fait réalistes, et suffisamment précis pour alimenter une analyse approfondie.

Quand l'algorithme change la chronologie

Les datations auquel parvient Enoch pour les manuscrits de la mer Morte sont fréquemment plus anciennes que celles communément admises.

Certains, attribués à la période hasmonéenne – entre le IIe et le Ier siècle av. J.-C. –, remontaient parfois finalement à la fin du IIIe siècle av. J.-C. Autre révélation, le style hérodien, associé jusqu'ici à la période de transition entre 50 av. J.-C. et l'an 1 apr. J.-C., apparaît selon Enoch dès le IIe siècle av. J.-C., coexistant ainsi avec le style hasmonéen. Au contraire, les rouleaux 4Q114 (correspondant au Livre de Daniel) et 4Q109 (à l'Ecclésiaste) constituent les premiers exemples connus de fragments bibliques dont la datation par l'IA concorde avec la période supposée de leur rédaction littéraire, ce qui leur confère une portée historique nouvelle.

Autrement dit, deux fragments bibliques ont été datés par Enoch à des périodes qui coïncident avec celles traditionnellement associées à leurs auteurs présumés — une première dans la recherche sur les Manuscrits de la mer Morte. Selon le professeur Eibert Tigchelaar, expert des manuscrits de la mer Morte de l'université de Louvain, en Belgique, même quelques dizaines d'années de différence au niveau de la datation ont leur importance, dans la mesure où elles situent les artefacts dans des contextes culturels et politiques radicalement différents.

Ces textes n'auraient donc pas été reproduits par plusieurs générations de scribes, avec tout ce que cela implique pour l'intégrité du propos original. Par extension, cela remet en question l'idée largement acceptée que les événements décrits dans ces textes religieux ont été consignés longtemps après leur déroulement. Il est possible qu'ils aient en fait été relatés presque "en direct" – une hypothèse enthousiasmante qui pourrait grandement améliorer notre compréhension du contexte historique.

Ces conclusions remettent donc en cause la progression linéaire traditionnellement établie entre les styles d'écriture, et modifient les repères historiques utilisés pour dater d'autres textes. "C'est très enthousiasmant de faire un pas significatif vers la résolution du problème de datation des manuscrits de la mer Morte et de créer un nouvel outil pouvant être utilisé pour d'autres collections de manuscrits partiellement datées dans l'histoire", conclut l'équipe de recherche dans un communiqué.

Il est toutefois important de préciser que la méthode imaginée par les chercheurs reste avant tout probabiliste ; par définition, elle ne peut donc pas produire de preuves rigoureuses. Des limites néanmoins existent, comme le faible nombre d'échantillons ou la non-distinction entre date du support et date de rédaction, par exemple. Mais elle offre tout de même des pistes très sérieuses et assez fascinantes qui, à terme, pourraient déboucher sur de grandes découvertes. Enoch représente une avancée méthodologique majeure, qui évite par ailleurs d'endommager les parchemins – contrairement à la datation au radiocarbone.

Sanctuaire du Livre, Musée d'Israël, Jérusalem

Les limites de la datation exclusive au carbone 14 

La datation au carbone 14 est une technique particulièrement importante dans l'histoire des sciences, et notamment en archéologie, en paléontologie, en climatologie et en histoire de l'art, car elle permet de déterminer l'âge d'objets très anciens avec une bonne précision. Toutefois, si elle a ouvert la voie à des progrès phénoménaux dans toutes ces disciplines, elle n'est pas infaillible pour autant – et c'est particulièrement criant dans cette affaire.

Grottes de Qumrân

Pour commencer, la datation au carbone 14 comporte une marge d'erreur qui peut aller de quelques dizaines d'années à environ un siècle. Une incertitude tout à fait acceptable dans certains cas, mais problématique lorsqu'il s'agit de retracer des séquences d'événements précises, comme c'est le cas ici. En outre, il s'agit d'une méthode destructive : il faut sacrifier une petite partie de l'objet que l'on souhaite dater. Là encore, c'est un gros problème dans le cas des Manuscrits de la mer Morte, car à chaque datation, on prend le risque de compromettre l'intégrité d'un précieux document.

Vue de la mer Morte depuis une grotte de Qumrân

Mais le plus gros problème, c'est que les informations qu'on peut en tirer ne sont pas forcément pertinentes. En effet, la datation au carbone 14 permet de déterminer l'âge du support… mais pas forcément du texte inscrit dessus ! Un parchemin peut avoir été fabriqué bien avant que le texte n'y soit inscrit, et cela ouvre la porte à des erreurs d'interprétation regrettables.

Jarres à parchemin provenant des grottes de la mer Morte, au musée de Jordanie, à Amman

Deux rouleaux des manuscrits de la mer Morte à leur emplacement dans les grottes de Qumrân avant d'être retirés et démêlés