Témoignage de foi : l'appel à la fraternité universelle du Pape François

21/04/2025

La fraternité est "l'ancre de salut pour l'humanité" déclarait le Pape François, décédé ce 21 avril 2025, lundi de Pâques. Dans un message vidéo à l'occasion de la 2e journée internationale de la fraternité humaine, le Saint-Père insistait sur l'importance des relations entre les peuples, comme celles "de l'unique famille humaine". Il invitait à "une marche commune" capable de surpasser les divisions et l'indifférence. Trois années après son voyage à Abu Dhabi où il avait signé avec le Grand Imam d'Al-Azhar, Ahamad al-Tayyeb, le Document sur la fraternité humaine pour la paix mondiale et la coexistence commune, le Pape François semble toujours incarner l'appel à la concorde entre les peuples.

Regarder vers le Ciel

Dans son message vidéo d'environ sept minutes, le Saint-Père définit d'abord la fraternité comme "une barrière contre la haine, la violence et l'injustice", et "l'une des valeurs fondamentales et universelles qui devrait être à la base des relations entre les peuples". Elle devrait permettre à chaque être humain de se sentir membre de "l'unique famille humaine". "Nous sommes tous frères", lance Pape, comme en écho à sa dernière encyclique Fratelli tutti. "Tous, nous vivons sous le même ciel", répète-t-il également, "nous sommes tous différents et pourtant tous égaux, et cette période de pandémie nous l'a prouvé". Et François de mettre en garde, comme il l'a déjà fait en d'autres occasion ces derniers mois : "on ne se sauve pas tout seul !" Cette fraternité trouve sa source en Dieu – "nous qui sommes ses créatures, nous devons nous reconnaître frères et sœurs". Il revient alors aux croyants de remplir une mission particulière : celle d' "aider nos frères et sœurs à élever le regard et la prière vers le Ciel", explique le Souverain Pontife. "Levons les yeux vers le Ciel, car celui qui adore Dieu avec un cœur sincère aime aussi le prochain".

Journée de la fraternité humaine, un témoignage de foi

Vivre sa foi comme des frères et sœurs, changer le regard sur l'autre, résister à l'agressivité des discours extrémistes, à la haine et à la violence, sont autant d'appels lancés. 

"Vivre sous le même ciel" signifie aussi savoir "marcher ensemble". "Ne remettons pas à demain ou à un avenir dont on ne sait pas s'il adviendra ; aujourd'hui est le moment opportun pour marcher ensemble : croyants et toutes les personnes de bonne volonté, ensemble",déclare François. Autrement, c'est l'indifférence qui menace, et son cortège de guerres, de famines, de lacunes éducatives. "Ou bien nous sommes frères, ou bien tout s'écroule. Ce temps n'est pas le temps de l'oubli", résume le Saint-Père avec gravité. Le Pape concède que le chemin de la fraternité "est long, c'est un parcours difficile, mais elle est l'ancre de salut pour l'humanité". La fraternité seule est capable de faire face "aux nombreux signaux de menace, à l'obscurité du temps présent, à la logique du conflit". Le Souverain Pontife remercie ceux qui "s'uniront à notre chemin de fraternité", dans "l'harmonie des différences et dans le respect de l'identité de chacun". "J'encourage tout le monde à s'engager pour la cause de la paix et pour répondre aux problèmes et aux besoins concrets des derniers, des pauvres, de ceux qui sont sans défense", conclut-il.

Le 4 février 2022 marquait la 2e journée internationale de la fraternité humaine, initiative permise par l'Assemblée Générale des Nations Unies par la résolution 75/200 de décembre 2020. Cette journée promeut le dialogue interreligieux et interculturel. Avec cette résolution, qui fut d'abord proposée par l'Égypte et les Émirats arabes unis, les Nations Unies invitèrent tous les États membres et autres organisations internationales à commémorer chaque année la journée de la Fraternité Humaine le 4 février. Depuis la première célébration le 4 février 2021, la Journée Internationale de la Fraternité humaine a reçu le soutien de plusieurs personnalités au rayonnement mondial. Le Pape François, le grand Imam d'Al-Azhar, Cheikh Ahmed el-Tayeb, ainsi que le président des États-Unis Joe Biden, ont secondé l'initiative.


VOYAGE APOSTOLIQUE DU PAPE FRANÇOIS
AUX ÉMIRATS ARABES UNIS
(3-5 FÉVRIER 2019)

DOCUMENT SUR

LA FRATERNITÉ HUMAINE

POUR LA PAIX MONDIALE ET LA COEXISTENCE COMMUNE

AVANT-PROPOS

La foi amène le croyant à voir dans l'autre un frère à soutenir et à aimer. De la foi en Dieu, qui a créé l'univers, les créatures et tous les êtres humains – égaux par Sa Miséricorde –, le croyant est appelé à exprimer cette fraternité humaine, en sauvegardant la création et tout l'univers et en soutenant chaque personne, spécialement celles qui sont le plus dans le besoin et les plus pauvres.

Partant de cette valeur transcendante, en diverses rencontres dans une atmosphère de fraternité et d'amitié, nous avons partagé les joies, les tristesses et les problèmes du monde contemporain, au niveau du progrès scientifique et technique, des conquêtes thérapeutiques, de l'époque digitale, des mass media, des communications ; au niveau de la pauvreté, des guerres et des malheurs de nombreux frères et sœurs en diverses parties du monde, à cause de la course aux armements, des injustices sociales, de la corruption, des inégalités, de la dégradation morale, du terrorisme, de la discrimination, de l'extrémisme et de tant d'autres motifs.

De ces échanges fraternels et sincères, que nous avons eus, et de la rencontre pleine d'espérance en un avenir lumineux pour tous les êtres humains, est née l'idée de ce « Document sur la Fraternité humaine ». Un document raisonné avec sincérité et sérieux pour être une déclaration commune de bonne et loyale volonté, destinée à inviter toutes les personnes qui portent dans le cœur la foi en Dieu et la foi dans la fraternité humaine, à s'unir et à travailler ensemble, afin que ce Document devienne un guide pour les nouvelles générations envers la culture du respect réciproque, dans la compréhension de la grande grâce divine qui rend frères tous les êtres humains.

Au nom de Dieu qui a créé tous les êtres humains égaux en droits, en devoirs et en dignité, et les a appelés à coexister comme des frères entre eux, pour peupler la terre et y répandre les valeurs du bien, de la charité et de la paix

Au nom de l'âme humaine innocente que Dieu a interdit de tuer, affirmant que quiconque tue une personne est comme s'il avait tué toute l'humanité et que quiconque en sauve une est comme s'il avait sauvé l'humanité entière.

Au nom des pauvres, des personnes dans la misère, dans le besoin et des exclus que Dieu a commandé de secourir comme un devoir demandé à tous les hommes et, d'une manière particulière, à tout homme fortuné et aisé.

Au nom des orphelins, des veuves, des réfugiés et des exilés de leurs foyers et de leurs pays ; de toutes les victimes des guerres, des persécutions et des injustices ; des faibles, de ceux qui vivent dans la peur, des prisonniers de guerre et des torturés en toute partie du monde, sans aucune distinction.

Au nom des peuples qui ont perdu la sécurité, la paix et la coexistence commune, devenant victimes des destructions, des ruines et des guerres.

Au nom de la « fraternité humaine » qui embrasse tous les hommes, les unit et les rend égaux.

Au nom de cette fraternité déchirée par les politiques d'intégrisme et de division, et par les systèmes de profit effréné et par les tendances idéologiques haineuses, qui manipulent les actions et les destins des hommes.

Au nom de la liberté, que Dieu a donnée à tous les êtres humains, les créant libres et les distinguant par elle.

Au nom de la justice et de la miséricorde, fondements de la prospérité et pivots de la foi.

Au nom de toutes les personnes de bonne volonté, présentes dans toutes les régions de la terre.

Au nom de Dieu et de tout cela, Al-Azhar al-Sharif – avec les musulmans d'Orient et d'Occident –, conjointement avec l'Eglise catholique – avec les catholiques d'Orient et d'Occident –, déclarent adopter la culture du dialogue comme chemin ; la collaboration commune comme conduite ; la connaissance réciproque comme méthode et critère.

Nous – croyants en Dieu, dans la rencontre finale avec Lui et dans Son Jugement –, partant de notre responsabilité religieuse et morale, et par ce Document, nous demandons à nous-mêmes et aux Leaders du monde, aux artisans de la politique internationale et de l'économie mondiale, de s'engager sérieusement pour répandre la culture de la tolérance, de la coexistence et de la paix; d'intervenir, dès que possible, pour arrêter l'effusion de sang innocent, et de mettre fin aux guerres, aux conflits, à la dégradation environnementale et au déclin culturel et moral que le monde vit actuellement.

Nous nous adressons aux intellectuels, aux philosophes, aux hommes de religion, aux artistes, aux opérateurs des médias et aux hommes de culture en toute partie du monde, afin qu'ils retrouvent les valeurs de la paix, de la justice, du bien, de la beauté, de la fraternité humaine et de la coexistence commune, pour confirmer l'importance de ces valeurs comme ancre de salut pour tous et chercher à les répandre partout.

Cette Déclaration, partant d'une réflexion profonde sur notre réalité contemporaine, appréciant ses réussites et partageant ses souffrances, ses malheurs et ses calamités, croit fermement que parmi les causes les plus importantes de la crise du monde moderne se trouvent une conscience humaine anesthésiée et l'éloignement des valeurs religieuses, ainsi que la prépondérance de l'individualisme et des philosophies matérialistes qui divinisent l'homme et mettent les valeurs mondaines et matérielles à la place des principes suprêmes et transcendants.

Nous, reconnaissant aussi les pas positifs que notre civilisation moderne a accomplis dans les domaines de la science, de la technologie, de la médecine, de l'industrie et du bien-être, en particulier dans les pays développés, nous soulignons que, avec ces progrès historiques, grands et appréciés, se vérifient une détérioration de l'éthique, qui conditionne l'agir international, et un affaiblissement des valeurs spirituelles et du sens de la responsabilité. Tout cela contribue à répandre un sentiment général de frustration, de solitude et de désespoir, conduisant beaucoup à tomber dans le tourbillon de l'extrémisme athée et agnostique, ou bien dans l'intégrisme religieux, dans l'extrémisme et dans le fondamentalisme aveugle, poussant ainsi d'autres personnes à céder à des formes de dépendance et d'autodestruction individuelle et collective.

L'histoire affirme que l'extrémisme religieux et national, ainsi que l'intolérance, ont produit dans le monde, aussi bien en Occident qu'en Orient, ce que l'on pourrait appeler les signaux d'une « troisième guerre mondiale par morceaux », signaux qui, en diverses parties du monde et en diverses conditions tragiques, ont commencé à montrer leur visage cruel ; situations dont on ne connaît pas avec précision combien de victimes, de veuves et d'orphelins elles ont générés. En outre, il y a d'autres régions qui se préparent à devenir le théâtre de nouveaux conflits, où naissent des foyers de tension et s'accumulent des armes et des munitions, dans une situation mondiale dominée par l'incertitude, par la déception et par la peur de l'avenir et contrôlée par des intérêts économiques aveugles.

Nous affirmons aussi que les fortes crises politiques, l'injustice et l'absence d'une distribution équitable des ressources naturelles – dont bénéficie seulement une minorité de riches, au détriment de la majorité des peuples de la terre – ont provoqué, et continuent à le faire, d'énormes quantité de malades, de personnes dans le besoin et de morts, causant des crises létales dont sont victimes divers pays, malgré les richesses naturelles et les ressources des jeunes générations qui les caractérisent. A l'égard de ces crises qui laissent mourir de faim des millions d'enfants, déjà réduits à des squelettes humains – en raison de la pauvreté et de la faim –, règne un silence international inacceptable.

Il apparaît clairement à ce propos combien la famille est essentielle, en tant que noyau fondamental de la société et de l'humanité, pour donner le jour à des enfants, les élever, les éduquer, leur fournir une solide morale et la protection familiale. Attaquer l'institution familiale, en la méprisant ou en doutant de l'importance de son rôle, représente l'un des maux les plus dangereux de notre époque.

Nous témoignons aussi de l'importance du réveil du sens religieux et de la nécessité de le raviver dans les cœurs des nouvelles générations, par l'éducation saine et l'adhésion aux valeurs morales et aux justes enseignements religieux, pour faire face aux tendances individualistes, égoïstes, conflictuelles, au radicalisme et à l'extrémisme aveugle sous toutes ses formes et ses manifestations.

Le premier et le plus important objectif des religions est celui de croire en Dieu, de l'honorer et d'appeler tous les hommes à croire que cet univers dépend d'un Dieu qui le gouverne, qu'il est le Créateur qui nous a modelés avec Sa Sagesse divine et nous a accordé le don de la vie pour le préserver. Un don que personne n'a le droit d'enlever, de menacer ou de manipuler à son gré; au contraire, tous doivent préserver ce don de la vie depuis son commencement jusqu'à sa mort naturelle. C'est pourquoi nous condamnons toutes les pratiques qui menacent la vie comme les génocides, les actes terroristes, les déplacements forcés, le trafic d'organes humains, l'avortement et l'euthanasie et les politiques qui soutiennent tout cela.

De même nous déclarons – fermement – que les religions n'incitent jamais à la guerre et ne sollicitent pas des sentiments de haine, d'hostilité, d'extrémisme, ni n'invitent à la violence ou à l'effusion de sang. Ces malheurs sont le fruit de la déviation des enseignements religieux, de l'usage politique des religions et aussi des interprétations de groupes d'hommes de religion qui ont abusé – à certaines phases de l'histoire – de l'influence du sentiment religieux sur les cœurs des hommes pour les conduire à accomplir ce qui n'a rien à voir avec la vérité de la religion, à des fins politiques et économiques mondaines et aveugles. C'est pourquoi nous demandons à tous de cesser d'instrumentaliser les religions pour inciter à la haine, à la violence, à l'extrémisme et au fanatisme aveugle et de cesser d'utiliser le nom de Dieu pour justifier des actes d'homicide, d'exil, de terrorisme et d'oppression. Nous le demandons par notre foi commune en Dieu, qui n'a pas créé les hommes pour être tués ou pour s'affronter entre eux et ni non plus pour être torturés ou humiliés dans leurs vies et dans leurs existences. En effet, Dieu, le Tout-Puissant, n'a besoin d'être défendu par personne et ne veut pas que Son nom soit utilisé pour terroriser les gens.

Ce Document, en accord avec les précédents Documents Internationaux qui ont souligné l'importance du rôle des religions dans la construction de la paix mondiale, certifie ce qui suit :

- La forte conviction que les vrais enseignements des religions invitent à demeurer ancrés dans les valeurs de la paix ; à soutenir les valeurs de la connaissance réciproque, de la fraternité humaine et de la coexistence commune ; à rétablir la sagesse, la justice et la charité et à réveiller le sens de la religiosité chez les jeunes, pour défendre les nouvelles générations de la domination de la pensée matérialiste, du danger des politiques de l'avidité du profit effréné et de l'indifférence, basée sur la loi de la force et non sur la force de la loi.

- La liberté est un droit de toute personne : chacune jouit de la liberté de croyance, de pensée, d'expression et d'action. Le pluralisme et les diversités de religion, de couleur, de sexe, de race et de langue sont une sage volonté divine, par laquelle Dieu a créé les êtres humains. Cette Sagesse divine est l'origine dont découle le droit à la liberté de croyance et à la liberté d'être différents. C'est pourquoi on condamne le fait de contraindre les gens à adhérer à une certaine religion ou à une certaine culture, comme aussi le fait d'imposer un style de civilisation que les autres n'acceptent pas.

- La justice basée sur la miséricorde est le chemin à parcourir pour atteindre une vie décente à laquelle a droit tout être humain.

- Le dialogue, la compréhension, la diffusion de la culture de la tolérance, de l'acceptation de l'autre et de la coexistence entre les êtres humains contribueraient notablement à réduire de nombreux problèmes économiques, sociaux, politiques et environnementaux qui assaillent une grande partie du genre humain.

- Le dialogue entre les croyants consiste à se rencontrer dans l'énorme espace des valeurs spirituelles, humaines et sociales communes, et à investir cela dans la diffusion des plus hautes vertus morales, réclamées par les religions ; il consiste aussi à éviter les discussions inutiles.

- La protection des lieux de culte – temples, églises et mosquées – est un devoir garanti par les religions, par les valeurs humaines, par les lois et par les conventions internationales. Toute tentative d'attaquer les lieux de culte ou de les menacer par des attentats, des explosions ou des démolitions est une déviation des enseignements des religions, ainsi qu'une claire violation du droit international.

- Le terrorisme détestable qui menace la sécurité des personnes, aussi bien en Orient qu'en Occident, au Nord ou au Sud, répandant panique, terreur ou pessimisme n'est pas dû à la religion – même si les terroristes l'instrumentalisent – mais est dû à l'accumulation d'interprétations erronées des textes religieux, aux politiques de faim, de pauvreté, d'injustice, d'oppression, d'arrogance ; pour cela, il est nécessaire d'interrompre le soutien aux mouvements terroristes par la fourniture d'argent, d'armes, de plans ou de justifications, ainsi que par la couverture médiatique, et de considérer tout cela comme des crimes internationaux qui menacent la sécurité et la paix mondiale. Il faut condamner ce terrorisme sous toutes ses formes et ses manifestations.

- Le concept de citoyenneté se base sur l'égalité des droits et des devoirs à l'ombre de laquelle tous jouissent de la justice. C'est pourquoi il est nécessaire de s'engager à établir dans nos sociétés le concept de la pleine citoyenneté et à renoncer à l'usage discriminatoire du terme minorités, qui porte avec lui les germes du sentiment d'isolement et de l'infériorité ; il prépare le terrain aux hostilités et à la discorde et prive certains citoyens des conquêtes et des droits religieux et civils, en les discriminant.

- La relation entre Occident et Orient est une indiscutable et réciproque nécessité, qui ne peut pas être substituée ni non plus délaissée, afin que tous les deux puissent s'enrichir réciproquement de la civilisation de l'autre, par l'échange et le dialogue des cultures. L'Occident pourrait trouver dans la civilisation de l'Orient des remèdes pour certaines de ses maladies spirituelles et religieuses causées par la domination du matérialisme. Et l'Orient pourrait trouver dans la civilisation de l'Occident beaucoup d'éléments qui pourraient l'aider à se sauver de la faiblesse, de la division, du conflit et du déclin scientifique, technique et culturel. Il est important de prêter attention aux différences religieuses, culturelles et historiques qui sont une composante essentielle dans la formation de la personnalité, de la culture et de la civilisation orientale ; et il est important de consolider les droits humains généraux et communs, pour contribuer à garantir une vie digne pour tous les hommes en Orient et en Occident, en évitant l'usage de la politique de la double mesure.

- C'est une nécessité indispensable de reconnaître le droit de la femme à l'instruction, au travail, à l'exercice de ses droits politiques. En outre, on doit travailler à la libérer des pressions historiques et sociales contraires aux principes de sa foi et de sa dignité. Il est aussi nécessaire de la protéger de l'exploitation sexuelle et du fait de la traiter comme une marchandise ou un moyen de plaisir ou de profit économique. Pour cela, on doit cesser toutes les pratiques inhumaines et les coutumes courantes qui humilient la dignité de la femme et travailler à modifier les lois qui empêchent les femmes de jouir pleinement de leurs droits.

- La défense des droits fondamentaux des enfants à grandir dans un milieu familial, à l'alimentation, à l'éducation et à l'assistance est un devoir de la famille et de la société. Ces droits doivent être garantis et préservés, afin qu'ils ne manquent pas ni ne soient refusés à aucun enfant, en aucun endroit du monde. Il faut condamner toute pratique qui viole la dignité des enfants et leurs droits. Il est aussi important de veiller aux dangers auxquels ils sont exposés – spécialement dans le domaine digital – et de considérer comme un crime le trafic de leur innocence et toute violation de leur enfance.

- La protection des droits des personnes âgées, des faibles, des handicapés et des opprimés est une exigence religieuse et sociale qui doit être garantie et protégée par des législations rigoureuses et l'application des conventions internationales à cet égard.

A cette fin, l'Eglise catholique et Al-Azhar, par leur coopération commune, déclarent et promettent de porter ce Document aux Autorités, aux Leaders influents, aux hommes de religion du monde entier, aux organisations régionales et internationales compétentes, aux organisations de la société civile, aux institutions religieuses et aux Leaders de la pensée ; et de s'engager à la diffusion des principes de cette Déclaration à tous les niveaux régionaux et internationaux, en préconisant de les traduire en politiques, en décisions, en textes législatifs, en programmes d'étude et matériaux de communication.

Al-Azhar et l'Eglise Catholique demandent que ce Document devienne objet de recherche et de réflexion dans toutes les écoles, dans les universités et dans les instituts d'éducation et de formation, afin de contribuer à créer de nouvelles générations qui portent le bien et la paix et défendent partout le droit des opprimés et des derniers.

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En conclusion nous souhaitons que :

cette Déclaration soit une invitation à la réconciliation et à la fraternité entre tous les croyants, ainsi qu'entre les croyants et les non croyants, et entre toutes les personnes de bonne volonté ;

soit un appel à toute conscience vivante qui rejette la violence aberrante et l'extrémisme aveugle ; appel à qui aime les valeurs de tolérance et de fraternité, promues et encouragées par les religions ;

soit un témoignage de la grandeur de la foi en Dieu qui unit les cœurs divisés et élève l'esprit humain ;

soit un symbole de l'accolade entre Orient et Occident, entre Nord et Sud, et entre tous ceux qui croient que Dieu nous a créés pour nous connaître, pour coopérer entre nous et pour vivre comme des frères qui s'aiment.

Ceci est ce que nous espérons et cherchons à réaliser, dans le but d'atteindre une paix universelle dont puissent jouir tous les hommes en cette vie.

Abou Dabi, le 4 février 2019

Sa Sainteté
Pape François Grand Imam d'Al-Azhar
Ahmad Al-Tayyeb 



À l'occasion du congrès de Pluriel à Abu Dhabi, le Pape François a adressé un message officiel aux participants, lu par le cardinal Miguel Ángel Ayuso Guixot, président du Conseil pontifical pour le dialogue interreligieux. Le congrès a réuni du 4 au 7 février 2024 une quarantaine de chercheurs internationaux pour analyser l'impact et les perspectives du Document sur la fraternité humaine, signé en 2019 entre le grand imam d'Al-Azhar Ahmed Al-Tayeb et le Pape François, pour l'Église catholique.

Nous le reproduisons ici en intégralité :

Chers frères et sœurs !

Je vous adresse mes cordiales salutations, à vous qui participez à Abou Dhabi à ce Congrès international de PLURIEL, la Plateforme Universitaire de Recherche sur l'Islam, à l'occasion des cinq ans du Document sur la fraternité humaine pour la paix mondiale et la coexistence commune que j'ai cosigné avec mon ami et frère, le Grand Imam d'Al-Azhar, Ahmad al-Tayyeb. Lors de cet événement, nous demandions à ce que « ce Document devienne objet de recherche et de réflexion dans toutes les écoles, dans les universités et dans les instituts d'éducation et de formation, afin de contribuer à créer de nouvelles générations qui portent le bien et la paix et défendent partout le droit des opprimés et des derniers. » Je félicite donc vivement les organisateurs de cette rencontre académique pour le lieu et le thème qu'ils ont choisis, « Impact et perspectives du Document », à l'heure où la fraternité et le vivre ensemble sont remis en question par les injustices et les guerres qui – je le rappelle – sont toujours des défaites de l'humanité. Les racines de ces maux sont trois : la méconnaissance de l'autre, l'absence d'écoute et le manque de flexibilité intellectuelle. Trois failles de l'esprit humain qui détruisent la fraternité et qu'il convient de bien identifier pour retrouver la sagesse et la paix.

La méconnaissance de l'autre d'abord. Car les problèmes d'aujourd'hui et de demain resteront insolubles si nous n'apprenons pas à nous connaître, à nous estimer, et si nous restons isolés. Connaître l'autre, construire une confiance mutuelle, changer l'image négative que nous pouvons avoir sur cet « autre », qui est mon frère en humanité, dans les publications, les discours et l'enseignement, est le moyen d'initier des processus de paix acceptables par tous. La paix sans une éducation basée sur le respect et la connaissance de l'autre n'a en effet ni valeur ni avenir. Si nous ne voulons pas construire une civilisation de l'anti-frère, où « l'autre différent » est trivialement perçu comme un ennemi, si nous voulons bâtir au contraire ce monde tant désiré où le dialogue est assumé comme chemin, la collaboration commune comme conduite ordinaire, la connaissance réciproque comme méthode et critère (cf. Document), alors la voie à suivre aujourd'hui est celle de l'éducation au dialogue et à la rencontre. Comme je le disais dans mon dernier Message à l'occasion de la Journée Mondiale de la Paix consacrée à l'intelligence artificielle, « la paix, en effet, est le fruit de relations qui reconnaissent et qui accueillent l'autre dans sa dignité inaliénable » (Message pour la 57ème Journée Mondiale de la Paix 2024, 8 décembre 2023). L'intelligence humaine, quant à elle, est fondamentalement relationnelle : elle ne peut s'épanouir que si elle demeure curieuse et ouverte à tous les champs du réel, et si elle sait communiquer librement le fruit de ses découvertes.

Pour cela, il est nécessaire de prendre le temps d'écouter, écouter mon frère différent, que je n'ai pas choisi, pour pouvoir vivre avec lui sur la même terre. L'absence d'écoute est le deuxième piège qui nuit à la fraternité. Au contraire : écouter, avant de parler. « Chacun devrait être toujours prêt à écouter, lent à parler, lent à se mettre en colère, car la colère de l'homme n'accomplit pas ce que Dieu attend du juste », dit saint Jacques (Jc 1, 19-20). Combien de maux seraient évités s'il y avait davantage d'écoute, de silence et de vraies paroles tout à la fois, dans les familles, les communautés politiques ou religieuses, au sein même des universités et entre les peuples et les cultures ! Le fait de créer des espaces d'accueil de l'opinion différente n'est pas une perte de temps, mais un gain en humanité. Rappelons-nous que « sans relation et sans contraste avec celui qui est différent, il est difficile de se comprendre de façon claire et complète soi-même ainsi que son propre pays, puisque les autres cultures ne sont pas des ennemis contre lesquels il faudrait se protéger, mais des reflets divers de la richesse inépuisable de la vie humaine » (Fratelli tutti, n. 147). Pour débattre, il faut apprendre à écouter, c'est-à-dire à faire silence et ralentir, à l'opposé de la direction actuelle de notre monde post-moderne toujours agité, rempli d'images et de bruits. Débattre tout en sachant écouter et sans céder à l'émotionnel, sans craindre non plus les « malentendus », qui seront toujours présents et font partie du jeu de la rencontre, voilà ce qui permettra de parvenir à une vision commune pacifique pour bâtir la fraternité.

Mais débattre présuppose une éducation à la flexibilité intellectuelle. La formation et la recherche doivent viser à rendre les hommes et les femmes de nos peuples non pas rigides mais souples, vivants, ouverts à l'altérité, fraternels. Comme je le disais lors de la Conférence internationale pour la paix organisée à Al-Azhar, au Caire, en 2017, « la sagesse recherche l'autre, en surmontant la tentation de se raidir et de s'enfermer ; ouverte et en mouvement, humble et en recherche à la fois, elle sait valoriser le passé et le mettre en dialogue avec le présent, sans renoncer à une herméneutique appropriée » (Discours aux participants à la Conférence internationale pour la paix, 28 avril 2017). Chers frères et sœurs, faisons en sorte que notre rêve de fraternité dans la paix ne se cantonne pas aux mots ! Le mot « dialogue » est, en effet, d'une très grande richesse et ne peut se borner à discuter autour d'une table. « Se rapprocher, s'exprimer, s'écouter, se regarder, se connaître, essayer de se comprendre, chercher des points de contact, tout cela se résume dans le verbe '"'dialoguer' » (Fratelli tutti, n. 198). Ne craignez pas de sortir de vos disciplines, restez curieux, cultivez la souplesse, écoutez le monde, n'ayez pas peur de ce monde, écoutez votre frère que vous n'avez pas choisi mais que Dieu a mis à côté de vous pour vous apprendre à aimer. « En effet, celui qui n'aime pas son frère, qu'il voit, est incapable d'aimer Dieu, qu'il ne voit pas » (1 Jn 4, 20).

Merci pour ce que vous faites déjà, comme chercheurs, étudiants, hommes et femmes curieux qui désirez comprendre et changer le monde. Je vous encourage dans le travail que vous allez entreprendre lors de ce Congrès et j'invoque la bénédiction de Dieu sur vous tous ainsi que sur vos familles.

Du Vatican, le 4 février 2024

FRANÇOIS