Hostie, transsubstantiation et miracles eucharistiques

09/06/2025

La transsubstantiation est sans doute le plus grand miracle au sein de l'Église : au cours de l'eucharistie, au moment de la consécration, les espèces du pain et du vin deviennent le Corps et le Sang du Christ, tout en conservant les caractéristiques physiques et les apparences originales. Aujourd'hui, les catholiques préfèrent utiliser l'expression «présence réelle». Cette doctrine prend le nom de transsubstantiation au concile de Trente (1551) où elle est officiellement proclamée par l'Église catholique, prenant ainsi position à l'encontre de la consubstantiation envisagée par les protestants.

Vidéo miracle eucharistique de Lanciano reconnu par l'Église et par la science. À Lanciano (Italie) vers 750, lors d'une messe, au moment de la consécration, alors que le prêtre doutait de la présence du Christ dans le pain et le vin, celui-ci les vit se transformer en chair et en sang. Après un moment de stupéfaction, il partagea la nouvelle avec ses fidèles. Depuis le VIIIe siècle, ces reliques sont conservées dans l'église et ont été reconnues officiellement par l'Église à plusieurs reprises, notamment en 1970 après des examens scientifiques certifiant qu'il s'agit de chair et de sang humains vivants. Sans compte des faits qui restent inexplicables au plan scientifique...

1/ Frère Joseph de la Fraternité Saint-Vincent-Ferrier. 

"Lorsque le prêtre lors de la consécration prononce les paroles 'ceci est mon corps', il se passe quelque chose de prodigieux : le pain est converti en corps du Christ. Cette doctrine a été rappelée lors du Concile de Trente dans un texte célèbre, repris dans le catéchisme de l'Église catholique : 'Par la consécration du pain et du vin s'opère le changement de toute la substance du pain en la substance du corps du Christ notre Seigneur, et de toute la substance du vin en la substance de son sang.' Et le Concile poursuit : 'L'Église catholique l'a justement et exactement appelé la transsubstantiation.' 

Pourtant, cette conversion du pain en corps du Christ demeure invisible. En apparence, rien n'a changé. L'hostie a les mêmes propriétés physico-chimiques , le même aspect avant et après la consécration. Mais par la foi, nous savons que Celui que l'univers ne peut contenir est réellement présent sous les apparences du pain, et s'offre à nous comme nourriture. C'est un mystère, bien sûr, il est donc impossible de tout comprendre et tout expliquer (si c'était le cas, nous serions à coup sûr dans l'erreur!). Mais on peut tenter de recueillir quelques lumières auprès des grands saints et des grands docteurs qui ont cherché à exposer les mystère. 

Ici, c'est l'autorité de Saint Thomas qui s'impose, parce que c'est sans doute celui qui a pénétré le plus profondément dans ce mystère. À tel point qu'une fois qu'il eut fini d'écrire son traité de l'Eucharistie, Jésus lui est apparu et lui a dit : 'Tu as bien écrit de moi, Thomas, que veux-tu comme récompense ?' Pour tenter de rendre compte de la transsubstantiation, Thomas emprunte à Aristote une distinction métaphysique. Rassurez-vous, rien de compliqué, il s'agit de la distinction entre la substance et les accidents. Aristote a remarqué qu'il y avait différents niveaux dans une même réalité, et cela est manifeste dans l'expérience du changement. 

Prenons par exemple une casserole d'eau froide que je fais chauffer. Progressivement, la température s'élève. Si je trempe mon doigt au début du processus et au bout de quelques minutes, je n'aurai pas la même sensation. Et pourtant, alors même qu'un aspect de l'eau change, c'est bien la même réalité - l'eau - qui est présente. Mettons les mots sur cette expérience : ce qui varie dans une expérience de ce type, on l'appelle accident, ici c'est la température de plus en plus élevée. Et ce qui ne change pas, on l'appelle substance, ici l'eau. On dit que l'eau est le sujet du changement, et elle subit un changement, tout en restant elle-même. La substance est donc ce qui demeure, ce qui se tient sous les accidents. 

Cette distinction entre substance et accidents se retrouve dans toutes les réalités matérielles : il y a toujours ce qui fait que la chose est ce qu'elle est, qui ne change pas, la substance ; et l'ensemble des caractéristiques qui elles varient, les accidents. Au niveau de l'apparence - des accidents - il n'y a pas grand chose de commun entre un nourrisson dans les bras de sa maman, un jeune cadre dynamique, et un vieillard au soir de sa vie. Pourtant, c'est bien la même personne, la même substance qui assure la continuité de ses 90 ans d'existence. Appliquons ces réflexions à la transsubstantiation. 

Dans une hostie, avant la consécration, il y a bien la substance du pain, ce qui se tient dessous, et les accidents, le fait que cette hostie soit blanche, ronde, de telle taille, avec tel goût etc. Que se passe-t-il quand le prêtre prononce les paroles de la consécration ? Que désigne le 'ceci' quand il dit "ceci est mon corps"? Il ne désigne pas les accidents du pain, sinon les accidents seraient le corps du Christ, ce qui n'est pas le cas. Il ne désigne pas non plus la substance du pain, car le pain n'est pas le Christ. Donc quand le prêtre dit "ceci", il ne précise pas de quoi il parle, il reste dans une certaine indétermination. Ceci, ce que je tiens dans mes mains, ce qui se tient sous les accidents du pain, est le corps du Christ. Et c'est dans la formule elle-même que se fait la conversion. 'Ceci', au moment précis où je termine la formule, cesse d'être du pain et est véritablement le corps du Christ. La seule façon de comprendre les paroles de la consécration est de poser, comme le demande la foi, qu'il y a une conversion totale de la substance du pain en la substance du corps du Christ. Tel est le coeur du mystère de la transsubstantiation. 

Il y a un autre aspect à considérer dans ce mystère, très important également : malgré cette conversion totale, les accidents demeurent. Après les paroles de la consécration, il serait faux de dire, "ceci est du pain", et pourtant, je ne vois que les accidents du pain. Dans le cours naturel des choses, quand il y a un changement de substance, les accidents changent aussi : par exemple, l'embryon a des propriétés accidentelles propres, irréductibles à celles des gamettes dont il est issu. Dans la transsubstantiation, en revanche, les accidents du pain demeurent, mais sans le pain, c'est à dire, sans leur substance, sans leur sujet. 

Et attention à une possible erreur : ce n'est pas Jésus qui devient le sujet des accidents du pain, sinon il faudrait dire que le corps de Jésus a les accidents du pain, et donc qu'il est coupé en deux quand le prêtre fractionne l'hostie. Non. Jésus est bien présent dans l'hostie, mais il n'est pas affecté quand les accidents du pain sont modifiés, et il ne souffre pas quand l'hostie est mangée. C'est donc un cas unique, un miracle : les accidents du pain, après la consécration, demeurent sans leur sujet, par la puissance de Dieu ; et les accidents servent d'écrin à la présence du Christ (vu comme le contenu), le Christ est là où sont les accidents du pain (vu comme le contenant). L'hostie me manifeste la présence du Christ.

Tel est le grand mystère de la transsubstantiation : conversion de toute la substance du pain dans la substance du corps du Christ, et permanence miraculeuse des accidents du pain, sans leur sujet. Mais, me direz-vous, le Christ est au Ciel, avec son corps glorieux ! Comment donc peut-il être présent en même temps, sous les apparences du pain ? C'est à cette question que va répondre à présent Père Albert."

2/ Père Albert de la Fraternité Saint-Vincent-Ferrier. 

"Nous allons évoquer le but auquel est ordonné un tel miracle. Si le changement produit est si admirable, son but doit l'être encore bien davantage. Ce but, c'est la présence réelle de Notre Seigneur Jésus-Christ au Saint-Sacrement. Nous verrons d'abord en quels termes le Concile de Trente qualifie cette présence. Puis nous insisterons sur son caractère surnaturel. Nous pourrons alors, en conclusion, mieux comprendre dans quelle intention Notre-Seigneur nous a fait un si merveilleux cadeau. 

Le décret du Concile de Trente sur la Sainte Eucharistie commence par ces mots : 'En premier lieu, le saint synode enseigne et professe que, dans l'auguste sacrement de la sainte Eucharistie, après la consécration du pain et du vin, Notre-Seigneur Jésus-Christ, vrai Dieu et vrai homme, est contenu sous l'apparence de ces réalités sensibles, vraiment, réellement et substantiellement' (DS 1636 - catéchisme de l'Église catholique n°1374). Arrêtons-nous donc sur ces trois qualificatifs. 

La présence de Jésus-Christ au Saint-Sacrement est d'abord une présence vraie. Tous les enfants savent qu'il y a un abime entre 'ce que l'on fait pour de vrai' et 'ce qu'on fait pas pour de vrai'. Quand Jésus, à la dernière cène, a dit, en prenant du pain et du vin 'ceci est mon corps', 'ceci est mon sang', les apôtres ont compris, et l'Église a toujours compris à leur suite, qu'il fallait entendre ces paroles à la lettre. Jésus est Dieu, il dit toujours la vérité et il a le pouvoir de faire ce qu'il dit. N' a-t-il pas créé le monde entier à partir de rien par la puissance de Sa parole? Donc s'il dit que ce pain est Son corps, c'est qu'il est vraiment devenu Son corps, bien qu'en apparence ne soit changé.  Saint Thomas a magnifiquement exprimé la foi de l'Église sur ce point dans l'hymne Adoro te : 'Je vous adore, ô divinité cachée, vous qui , sous ces apparences, vous cachez véritablement (...) Je crois tout ce que dit le Fils de Dieu : rien n'est plus vrai que ce Verbe de Vérité.' 

La présence de Notre-Seigneur Jésus-Christ est donc une présence réelle. Par réel, il faut entendre une présence objective, qui ne dépend en aucune façon des dispositions subjectives du croyant. Écoutons donc ce que le pape expliquait à ce sujet en 1968, dans sa profession de foi catholique, alors que la foi en l'Eucharistie était gravement attaquée : 'Toute explication théologique cherchant quelque intelligence de ce mystère, doit, pour être en accord avec la foi catholique, maintenir que, dans la réalité elle-même, indépendante de notre esprit, le pain et le vin ont cessé d'exister après la consécration, en sorte que c'est le corps et le sang adorable de Jésus qui dès lors sont réellement devant nous, sous les espèces du pain et du vin.' Il est très dommage, assurément, de ne pas croire à la présence du Christ dans l'Eucharistie. Mais qu'on n'y croie ou pas, ne change rien au fait que Jésus est vraiment là, en personne, selon sa déclaration formelle : 'Le pain que je donnerai, c'est ma chair' (Jean 6, 51). 

La présence du Christ dans l'Eucharistie est enfin dite substantielle. On veut dire par là que Jésus est présent en personne sous le vile des espèces consacrées. Il est là tout entier, physiquement, dans le lieu où se trouvent les espèces, avec son corps, son sang, son âme et sa divinité. Dans les autres sacrements, comme le baptême ou la pénitence, Jésus est présent en ce sens qu'il agit pour donner Sa grâce. Mais au Saint-Sacrement, il n'agit pas seulement, il est présent en personne. L'Eucharistie est vraiment le soleil des sept sacrements, car elle contient non seulement la grâce, mais l'auteur même de la grâce. 

Par Sa présence vraie, réelle et substantielle, Jésus demeure vraiment au milieu de nous, dans nos tabernacles et même dans notre corps après notre communion. Cette présence réelle perdure aussi longtemps que les espèces consacrées ne sont pas détruites. Il faut souligner maintenant ce que cette présence a de surnaturel

En premier lieu, la présence de Notre-Seigneur au Saint-Sacrement n'est pas accessible aux sens. On ne peut la saisir que par la foi. Au Saint-Sacrement, les espèces, c'est à dire les apparences sensibles du pain et du vin, servent de voile à Jésus-Christ. Il se cache por que nous ayons le mérite de croire en Lui. Saint-Thomas l'a chanté admirablement de nouveau dans la séquence de la Messe de la Fête-Dieu, Lauda Sion : 'Ce que tu ne saisis pas, ce que tu ne vois pas, une foi vigoureuse le tient fermement, au-delà de l'ordre naturel des choses. Sous des espèces diverses, qui ne sont que des signes, se cachent des réalités éminentes. La chair est nourriture, le sang est breuvage, mais le Christ demeure sous l'une ou l'autre espèce.'

En second lieu, quand Notre-Seigneur se rend présent sous les espèces du pain et du vin, son rapport avec l'espace a quelque chose de surnaturel. Dans l'ordre naturel, un corps ne peut être présent que dans un seul lieu. Et son lieu, c'est l'espace mesuré par sa quantité, ni  plus ni moins. Cela, parce qu'un corps occupe un lieu au moyen de sa quantité. Si vous chaussez, mettons du 38, et que vous essayez de mettre du 32, vous n'y arriverez pas. Cette chaussure là n'a pas la quantité pour servir de lieu à votre pied. La marâtre de Cendrillon et ses trois méchantes filles l'ont appris à leur dépens. Seule Cendrillon avait un pied assez petit pour rentrer dans la chaussure qu'elle avait précipitamment abandonnée en quittant le bal. Et c'est ainsi que le Prince a pu l'épouser.

Au Saint-Sacrement, Notre-Seigneur occupe vraiment le lieu où se trouvent les espèces. Il est dans le lieu, c'est nécessaire, puisqu'il y est avec son corps. Il est exactement là où se trouve l'hostie. Mais la merveille est qu'Il occupe ce lieu indépendamment de la quantité naturelle de Son corps. Sa quantité est bien là, mais Il ne se sert pas d'elle pour occuper le lieu. On peut exprimer ainsi ce mystère : 'dans l'ordre naturel, un corps est dans un lieu avec sa quantité et par le moyen de sa quantité. Au Saint-sacrement, Jésus est là avec sa quantité, mais pas par le moyen de sa quantité

Il s'en suit une conséquence capitale : dans cet admirable sacrement, Jésus peut multiplier sa présence physique comme bon lui semble. Autant il y a d'hosties dans un ciboire, autant de fois et en autant de lieux, Il est corporellement présent. Bien mieux, Il reste présent tout enter sous chaque parcelle d'hostie. Saint-Thomas, a nouveau, l'a chanté avec bonheur dans la même séquence Lauda Sion : 'Celui qui le reçoit ne le coupe pas, ne le brise pas, ne le divise pas, il est reçu intègre. Qu'un seul le reçoive, ou mille le reçoivent, celui-ci en a autant que ceux-là. (...) Quand tu verras enfin le sacrement brisé, n'aie pas d'hésitation, mais souviens-toi qu'il y en autant sous chaque fragment que sous l'hostie entière.' Voilà pourquoi il est si important de traiter avec grand respect la moindre parcelle d'une hostie consacrée. Le Père Gérald vous en dira davantage à ce sujet

Pour finir, mes amis, posons-nous la question : qu'est-ce qui a poussé Jésus à nous faire un cadeau si merveilleux? Facile, me direz-vous, c'est son amour. Bien sûr, mais quelle sorte d'amour? Ce que Jésus nous offre, c'est Son amitié. 'Je ne vous appelle plus serviteurs, mais amis' (Jean 15, 15). Or, le voeu le plus cher de deux amis, c'est de vivre tout près l'un de l'autre, pour se voir, se parler, se témoigner constamment leur amitié. Jésus, comme un véritable ami, n'a pas voulu nous priver de Sa présence physique, corporelle, même par delà Sa mort. Il est là pour nous, près de nous, dans tous les tabernacles. C'est pour nous un devoir très doux de lui rendre visite pour l'honorer et l'adorer dans la sainte hostie. 

La transsubstantiation, dogme central de la foi catholique

Entretien avec le Père Nicolas Buttet, fondateur de la fraternité Eucharistein (Entretien réalisé par Manuella Affejee - Vatican News)

Seul un tiers des catholiques américains croient en la transsubstantiation, c'est-à-dire en la présence réelle du Christ dans l'Eucharistie. Que vous inspire ce chiffre ?

Cela m'inspire de la tristesse, car c'est quand même le trésor de notre foi, de notre vie chrétienne. Jésus a choisi de demeurer avec nous sous cette forme-là, jusqu'à la fin des temps. Mais sans vouloir être pessimiste, il y a ceux qui disent ne pas croire, et, -pour reprendre les mots de Jean-Paul II qui parlait d'athéisme théorique et d'athéisme pratique-, ceux qui vivent comme s'ils n'y croyaient pas. L'Eucharistie est-elle vraiment la source et le sommet de la vie chrétienne, comme le dit Vatican II et comme l'ont vécu et en ont témoigné tous les saints ?

S'agit-il d'un problème d'ignorance ou d'adhésion à la foi catholique ?

Je pense que ce n'est pas d'abord une question de connaissance, mais d'expérience. On peut connaître parfaitement, de manière spéculative, la théologie sur l'Eucharistie et tout ce que saint Thomas d'Aquin a écrit sur cela, mais finalement, seuls les saints pourront nous enseigner ce que c'est. C'est pourquoi au terme de l'encyclique de saint Jean-Paul II, L'Église vit de l'Eucharistie, il disait: «mettons-nous à l'école des saints, les grands interprètes de la piété eucharistique authentique». Je pense qu'il y a un déficit complet quant au témoignage de la vie des saints et de l'Eucharistie, car il faut donner goût à l'Eucharistie ! Pour cela, il faut voir des gens qui en vivent, comme les saints. Quand on a vu Mère Teresa devant le Saint-Sacrement comme je l'ai vue une fois, quand on a vu Jean-Paul II célébrer la messe, on comprend que quelque chose se passe et, tout d'un coup, cela nous donne faim et soif.

Que se passe-t-il au moment de la transsubstantiation ?

Un mystère inouï ! Saint Thomas d'Aquin recense au moins neuf miracles qui défient les lois de la science au moment même où un bout de pain et un peu de vin deviennent Dieu. L'essentiel est de comprendre que, contrairement à ce que disait Luther, il n'y a pas du pain 'et' Jésus, mais Jésus, réellement, corporellement, substantiellement présent avec son humanité et sa divinité ; que ce Jésus est là, non pas à titre symbolique, et que ce corps, né de la Vierge Marie, est présent, comme le chante la liturgie de l'Église. C'était d'ailleurs le sermon le plus court du saint Curé d'Ars: «Jésus est là», avait-il simplement dit en montrant le tabernacle qui est cette maison du Christ au milieu de nous, ce lieu d'habitation, ce Bethléem, cette maison du Pain de Vie. Il s'est ensuite mis à pleurer et s'est assis, et tout le monde a pleuré après lui. Alors oui, il se passe quelque chose d'inouï, que seul Dieu est capable de faire. On a de la peine à descendre aussi bas que Dieu est descendu. Déjà, se faire enfant, c'est scandaleux, se faire crucifier c'est inadmissible… Mais être au milieu de nous, sous l'apparence d'une matière inerte, ça, c'est de la folie. Et Dieu est fou d'amour, à ce point.

Et l'adoration, qu'est-ce que c'est ?

L'essence de la relation avec Dieu, c'est l'amitié; l'essence de la communion avec Lui, c'est ce cœur-à-cœur. Comme le disait sainte Thérèse d'Avila, «c'est avec Celui dont je me sais aimée et que je vais aimer en retour». L'adoration eucharistique est un lieu tout à fait particulier pour vivre ce dialogue d'amour avec Dieu. Il est là, Il me voit, je le vois, je suis en face de Lui, Il est réellement présent sous l'apparence de la petite hostie. Il y a donc une sorte d'intimité quasiment physique, car Il est corporellement présent. Cet aspect corporel ajoute quelque chose de tout à fait particulier à sa présence dans le cœur de l'homme, au milieu d'une communauté priante, dans sa Parole qui est annoncée. Cette présence corporelle est un prolongement de la messe et de l'action de grâce, en même temps qu'elle est une préparation à la prochaine communion. Benoît XVI a donné une lumière extraordinaire sur cela, en disant que puisque l'homme était fait pour adorer, il y avait comme une «suréminence» de l'adoration. Bien évidemment, il faut d'abord une messe pour pouvoir adorer le corps de Jésus, mais du point de vue de la perfection en quelque sorte, l'adoration, qui se vit aussi bien pendant la messe que durant son prolongement, est le sommet de la vie chrétienne.

L'Eucharistie a-t-elle toujours eu cette place centrale pour l'Église catholique ? Il y a plusieurs siècles, elle recommandait de communier seulement une fois par an et même l'adoration n'avait pas ce retentissement qu'elle a aujourd'hui…

Le cher cardinal Newman parlait d'un «désenveloppement» du dogme au fil des siècles. Ce trésor nous a été donné dès le départ, le soir de la Cène, et cela a dû être un choc terrible, lorsqu'au soir du 'Seder', repas de Pessah, Jésus a pris ce pain particulier symbolisant le Grand Prêtre, le médiateur entre Dieu et les hommes, qui avait été caché, percé, retrouvé, pour dire «ceci est ma chair», et pareillement lorsqu'il a pris la coupe de bénédiction (…) pour dire «ceci mon sang». Passé ce choc inouï, il a fallu du temps pour que tout cela se désenveloppe ; il a fallu surtout une contestation de la présence réelle, au XIe siècle avec Béranger de Tours, pour qu'une double réaction soit provoquée dans l'Église, d'abord avec le peuple de Dieu qui a dit «montrez-le nous ! On veut le voir !». Et donc, à partir du XIIe siècle, on a l'adoration du Saint-Sacrement, ainsi qu'une piété eucharistique inouïe ! Il n'y a pas une phrase, pas un mot de François d'Assise qui ne soit centré sur l'Eucharistie. Saint Louis vit de l'Eucharistie ; Thomas d'Aquin va développer tout cela, Saint Bonaventure aussi… Toute cette sainteté du XIIIe siècle est complètement eucharistique. Et puis, la réaction doctrinale a eu lieu avec le 4e Concile du Latran en 1215 où l'on va adopter le dogme de la transsubstantiation. Donc, on peut dire que le «désenveloppement» du dogme prend une tournure tout à fait particulière et centrale, y compris dans l'architecture avec le gothique qui met en son cœur le tabernacle et la présence réelle du Christ.

Dans le contexte de nombreux débats contemporains, notamment l'ordination de Viri probati (en Amazonie) et autres, certains affirment que l'Église aurait tort de s'arc-bouter, de se focaliser sur l'Eucharistie. Après tout, disent-ils, c'est un des sept sacrements, et puis, il faudrait remettre en valeur l'étude de la Parole de Dieu et des Écritures Saintes. Que leur répondriez-vous ?

Cela me cause une profonde tristesse car je pense qu'il y a là un manque d'intelligence théologale et d'intelligence de l'Eucharistie. Le père Jérôme de Sept-Fons disait justement que si la Bible constitue un message de Dieu et qu'elle est Parole de Dieu, elle n'est pas Dieu elle-même. L'Eucharistie, c'est Dieu lui-même. Une chose est d'entendre la parole, une autre est de rencontrer la personne. Une chose est d'écouter par radio, une autre est de se voir face-à-face. Le cardinal Journet avait une très belle image à ce propos. Il disait, «imaginez deux fiancés qui se parlent au téléphone… C'est extraordinaire, la voix est là, la chaleur, la tendresse, l'émotion sont là et tout d'un coup, ils se voient face-à-face et ils s'embrassent. Voyez-vous la différence entre une parole au téléphone et une accolade ou un baiser qui est donné entre deux amoureux ? Et bien vous avez compris la différence entre la Parole de Dieu et l'Eucharistie». C'est la rencontre chair à chair, cœur à cœur avec un Dieu vivant. Et sa Parole, bien sûr qu'elle est importante puisque c'est elle qui fait l'Eucharistie, -«ceci est mon corps»-, mais elle est là en vue de la présence réelle. Dieu ne pouvait pas quitter son peuple, l'abandonner après l'Ascension, ce n'était pas possible, -disait encore le cardinal Journet-, et donc Il a inventé l'Eucharistie, sa présence corporelle, comme immense trésor.

Vous prêchez beaucoup sur «la puissance de l'Eucharistie». L'avez-vous expérimentée vous-même ?

Je dois dire que je l'expérimente tous les jours ; je sais que ma vie vient de cette communion eucharistique, de cette adoration et je le vois aussi chez les jeunes que nous accueillons (à la fraternité Eucharistein, fondée par le père Buttet, ndlr) et qui sont passés par la drogue, l'alcool et la dépression. Ce qui me frappe, ce sont les témoignages unanimes de ceux qui s'en sortent : «c'est Jésus-Eucharistie qui m'a sauvé. Je sais que ces heures passées devant Lui, que cette communion ont embrasé mon cœur». Il y a quelque chose de l'ordre de l'amour qui est indicible. C'est le philosophe Jean-Luc Marion qui dit que cette relation ne s'exprime pas, elle se vit, mais on en voit des fruits inouïs. L'Eucharistie est au cœur du monde nouveau, elle est déjà la création rachetée, nous dit le Pape François de manière admirable. C'est là que le ciel nouveau et la terre nouvelle existent au milieu de nous, et que l'humanité nouvelle est régénérée complètement.

Je pense que si l'Église revenait à l'Eucharistie, on pourrait voir se réaliser la prophétie de Jean-Paul II : tout sera possible si une nouvelle ère eucharistique devient le cœur et la vie de l'Église.