Que cache le nom du village de Dieulefit?

Dieulefit est un village dans la Drôme (26) au nom mystérieux et fascinant. La forme la plus ancienne du nom apparaît en 1269, en latin «castrum de Dieulefit», puis «Dioulophes» (1332), «Deofecit» (1360), «Dieulefeyt» et «Dieu le Fit» au XVIᵉ siècle. C'est le village préféré des français, tel un refuge, mais où Dieu aurait fait quoi exactement?

1/ L'origine du nom "Dieulefit" signifierait "Dieu l'a fait" en latin (Deusfecit), exprimant une forme de bénédiction divine à la création ou à la fondation du village. Une légende raconte aussi que des envahisseurs arabes auraient crié "Allaba!" en voyant le village, un mot qui signifie "Dieu l'a fait" en arabe, ce qui appuie cette idée de bénédiction divine.

2/ La présence d'ermites comme Maurice au 9e siècle, qui a choisi de vivre dans un oratoire en l'honneur de son saint patron, a renforcé la spiritualité du lieu. Sa vie pieuse et sa mort dans une extase divine ont marqué les habitants de Dieulefit comme une preuve de la faveur de Dieu pour ce village, au surplus de ses saintes reliques.

3/ Au XIIIe siècle, Dieulefit serait devenu un lieu de refuge pour les Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem, renforçant ainsi sa connotation historique et spirituelle. La chapelle de la Calle, située sur le site de l'ancien cimetière, est la première église recensée et un témoignage de cette histoire religieuse.

Temple protestant à Dieulefit
4/ Au cœur de l'histoire religieuse de Dieulefit se trouve le conflit entre les catholiques et les protestants, un chapitre marquant de l'époque des guerres de religion en France. Or, l'Édit de Nantes, promulgué en 1598 par Henri IV, a marqué une étape cruciale en instaurant une relative paix religieuse et en reconnaissant certaines libertés aux protestants. À Dieulefit, cet édit a permis une cohabitation plus pacifique entre les deux communautés.

5/ Dieulefit a accueilli de nombreux réfugiés lors de la Seconde Guerre Mondiale, notamment des Juifs, des résistants et des artistes. Neuf de ses habitants sont reconnus comme «Justes parmi les nations». Les historiens et la presse parlent du «miracle de Dieulefit» car aucun réfugié n'a été dénoncé pendant toute la durée de la guerre alors que la population comptait environ un tiers de réfugiés. Cette tradition d'accueil et de résistance a fait de Dieulefit un village de Justes, reconnu pour son courage et sa solidarité.

Marguerite Soubeyran, pédagogue
6/ Parmi eux, Marguerite Soubeyran, co-directrice de l'école de Beauvallon, se révèle être une figure héroïque. Sous sa direction, l'école de Beauvallon devient bien plus qu'un établissement éducatif ; elle se transforme en un sanctuaire pour les enfants juifs et ceux fuyant le régime nazi. La détermination et l'ingéniosité de Marguerite Soubeyran dans la protection de ces enfants, lui ont valu la reconnaissance internationale et le titre de "Juste parmi les nations", honorant son humanité et son courage exceptionnels.

Jeanne Barnier
7/ Un autre personnage clé de cette résistance locale est Jeanne Barnier, la secrétaire de mairie. Avec une détermination silencieuse, Jeanne joue un rôle crucial dans la protection des réfugiés et des résistants. Utilisant sa position à la mairie, elle aide à fournir des documents d'identité falsifiés et à organiser des moyens de sécurité pour ceux en danger. Ensemble, ces femmes et de nombreux autres citoyens anonymes, ont tissé un réseau de résistance fondé sur l'entraide et l'humanité, faisant de Dieulefit un symbole de résilience et de défiance face à l'oppression nazie. Leurs noms sont écrits sur le mur des Justes au Mémorial de la Shoah à Paris.

8/ Selon Thomas Keller, Dieulefit fut «un lieu épargné, une oasis de paix... une terre de bien-être, d'accueil, de liberté, de sauvetage... un lieu qui protège et sauve la vie... une terre d'union nationale qui résiste et sauve l'honneur...». Pour Pierre Emmanuel, «À Dieulefit, nul n'est étranger. Celui qui va débarquer tout à l'heure, rompu par un affreux trajet d'autobus, affamé, poursuivi peut-être, et qui vit dans la terreur des regards braqués sur lui, qu'il se rassure, la paix va enfin l'accueillir. Il se trouvera parmi les siens, chez lui, car il est le prochain, pour qui toujours la table est mise».

Les saintes reliques de Saint-Maurice
En l'an 1160, des bergers gardent leurs troupeaux sur le sommet de la montagne de Saint-Maurice, près d'un monceau de pierres qui paraissaient les vestiges d'une antique habitation, relevaient ces restes de bâtisse pour en former un mur destiné à les abriter contre les vents du nord. En creusant le sol ils découvrirent une longue pierre de taille, ils la soulevèrent et furent étonné d'y découvrir un cadavre humain dont les ossements, étaient parfaitement conservés. Effrayé par cette vision ils choisirent de prendre le chemin du retour. Cependant l'un d'eux souleva avec son pied la tête et la fit rouler sur la pente rapide de la montagne.

Le lendemain, ces bergers retournèrent en ce même lieu mais furent stupéfait de découvrir la tête du squelette au même endroit d'où l'un d'eux l'avait fait rouler dans le ravin profond. «N'est-ce pas le crâne qui a roulé là-bas, du côté de Truinas?». Sans beaucoup s'arrêter à cette pensé, ils prirent le crâne et lui firent reprendre le même chemin que la veille. Ils revinrent encore le surlendemain et aperçurent encore le même crâne au même endroit.
Ils voulurent fuir, mais la frayeur les saisit tellement qu'ils tombèrent à terre pour ne se relever que longtemps après et courir à Dieulefit, raconter la merveille dont ils venaient d'être témoins. Le récit qu'ils firent à leur retour, excita une surprise impossible à décrire, à ce peuple religieux et surtout un ardent désir d'aller vénérer les saintes reliques.

Dans ce temps, Guy de Vesc était venu passer quelques jours dans son château de Dieulefit. A l'annonce de cette nouvelle, il prit la décision de partir sur ces lieux, accompagné des principaux habitants et de leur curé, afin de rapatrier les ossements sacrés. De retour à Dieulefit, Guy de Vesc fit placer les reliques dans sa chapelle en attendant de leur faire préparer une châsse convenable.

Ancienne église Saint Pierre à Dieulefit
Le lendemain, Guy de Vesc ouvrit lui-même les portes de la chapelle dont il avait emporté la clef, fit sa prière. Il s'approcha ensuite des saintes reliques pour les vénérer mais constatât avec stupeur que le coffre était vide. Se souvenant alors du récit des deux bergers, il fit envoyer son écuyer sur la montagne de Saint-Maurice, voir si les restes vénérés sont retournés dans ce même lieu, où hier, ils furent prélevés. A son retour, il déclara qu'il avait trouvé les ossements à la même place, rangés dans un ordre parfait.
Guy de Vesc, prit la résolution de faire relever l'oratoire de Saint Maurice et d'y laisser les reliques du saint ermite. Le nom de Maurice que portait l'ermite, et l'oratoire érigé en l'honneur de son saint patron, ont fait croire plus tard au peuple que le corps du noble chef de la légion Thébaine était enterré dans cette chapelle. Les pieux pèlerins recommencèrent à gravir la montagne pour implorer la protection du saint ermite. Les Guerres religieuses du 16ème siècle détruisirent de nouveau cet oratoire, comme elles en détruisirent d'autres ; mais elles ne purent détruire le souvenir de Saint Maurice.

Le miracle de la chapelle Saint-Maurice
Vers 1660, le curé Balthazar Thomé veut reconstruire la chapelle Saint‑Maurice (à 6km au nord de Dieulefit) et décide de la déplacer légèrement sur le versant tourné vers Dieulefit plutôt que de rebâtir exactement sur les ruines de l'ancien oratoire. Les maçons posent donc les nouveaux fondations et matériaux à cet endroit choisi.

Mais chaque lendemain de chantier, les ouvriers découvrent leurs travaux démolis et les pierres, bois et matériaux mystérieusement déplacés sur l'emplacement de l'ancienne chapelle, c'est‑à‑dire à l'endroit même de l'oratoire originel qui abritait les ossements de l'ermite Maurice. Ils recommencent plusieurs fois, et à chaque fois les matériaux «reviennent» d'eux‑mêmes vers l'ancien site.

Face à cette répétition inexpliquée, les habitants y voient un signe de la volonté divine : Dieu ne voudrait pas que l'on déplace le sanctuaire, mais qu'on le rebâtisse exactement à l'endroit de l'oratoire primitif. Reconnaissant dans ce phénomène «la main de Dieu», ils décident alors de reconstruire la chapelle sur l'emplacement ancien, en respectant le lieu marqué par la vie et la sépulture de l'ermite.

Dans le cadre de cette piété populaire, ce «retour» des matériaux est donc interprété comme un miracle de localisation sacrée: une manière pour Dieu (ou pour le saint ermite) d'imposer le lieu précis où devait se maintenir la présence spirituelle liée à Maurice.

