Intrication, téléportation, lévitation quantiques

25/02/2025

L'intrication quantique est le fait pour deux particules – deux photons, par exemple – de se comporter comme un seul système physique, indépendamment de la distance qui les sépare. On peut le voir comme la télépathie que décrivent des jumeaux ou des frères : l'un arriverait à percevoir ou ressentir des émotions fortes ressenties par l'autre, sans être avec lui ni lui parler. Au départ on génère deux photons intriqués, par exemple issus d'une même désintégration, et donc intimement liés par les conditions expérimentales. Puis, on les sépare en les envoyant chacun à un endroit bien différent (d'un bout à l'autre de la planète si besoin, il n'y a aucune limite à cette étape). Cet envoi se fait de façon classique, dans une fibre optique par exemple. C'est ensuite que la « magie » de l'intrication opère : lorsqu'on agit sur l'un des photons, l'autre réagit de façon instantanée.

Pour parler plus concrètement : si l'on fait une mesure en laboratoire sur le premier photon – par exemple son sens de rotation (spin) – alors on pourrait en déduire le sens de rotation de l'autre photon que l'on a envoyé à l'autre bout de la planète. Malheureusement, on ne pourra pas savoir si le sens de rotation des photons sera le même ou s'il sera opposé avant de mesurer chacun des photons : tout ce que l'on pourra dire, c'est qu'il existe un lien entre le sens de rotation de ces deux photons. En clair, si l'on change le sens de rotation de l'un, on change le sens de rotation de l'autre instantanément.

Un exemple d'intrication quantique pour mieux saisir

Imaginez deux équipes de chercheurs, l'une à New-York et l'autre à Paris. Disons que l'équipe de Paris ait reçu un photon intriqué (appelé photon n°2) de la part de l'équipe de New-York. Les deux équipes se sont téléphonées puis se se sont mises d'accord sur une petite expérience :

Équipe de NYC : nous allons modifier régulièrement le sens de rotation de notre photon dans notre laboratoire. Puisque votre photon et le notre sont intriqués, le votre devrait changer de sens de rotation instantanément en même temps que le notre ! Si c'est bien le cas, envoyez-nous un e-mail.
Équipe de Paris : OK.

L'équipe de Paris branche ses appareils de mesure et surveillent leur photon intriqué patiemment. D'abord le photon tourne dans un sens, puis d'un coup, tourne dans l'autre sens.Cela veut dire que l'équipe de NYC a, de son côté, modifié le sens de rotation de leur photon n°1.

L'équipe de Paris envoie un e-mail à NYC : « notre photon vient de changer de sens ! ». L'équipe de NYC répond : « C'est parce que nous venons de changer le sens de notre photon n°1, cela veut dire que nos photons sont bien intriqués ! ».

Ce que l'expérience ne dit pas, c'est dans quel sens tourne le photon à New-York : l'intrication quantique, telle que vous venez de la découvrir, permet de détecter à distance le changement d'état du photon (changement de sens de rotation). Les scientifiques de Paris n'ont aucun moyen de savoir, à moins de demander à l'autre équipe, dans quel sens tourne le photon n°1. Ils savent juste quel lien quantique existe entre les deux particules et que quand on change le sens de rotation du photon n°1, on change le sens de rotation du photon n°2.

Imaginez qu'il soit possible de transmettre une information plus intéressante que « le photon vient de changer de sens » ! Avec deux photons comme c'est le cas dans ce petit exemple, ce n'est pas possible. Heureusement, les scientifiques peuvent faire plus que jouer avec deux photons : ils peuvent jouer avec trois photons !

En résumé : deux particules intriquées sont liées d'une telle manière que toute action sur l'une rejaillit sur l'autre, et cela quelle que soit la distance qui les sépare. En mesurant l'état de l'une, on connait instantanément l'état de l'autre, même à des milliards de kilomètres. Théorisée dans les années 1930 par Erwin Schrödinger et les pionniers de la physique quantique, critiquée par Einstein qui avait bien du mal à avaler la pilule d'une information voyageant plus vite que la lumière, l'intrication est formellement observée sur des photons dans les années 1980. En 2022, le prix Nobel de physique a été décerné précisément à Alain Aspect, John F. Clauser et Anton Zeilinger pour leurs expériences sur des photons intriqués.

La téléportation quantique, L'intrication quantique ne suffit donc pas à elle seule à téléporter des objets ou des informations complexes. Reprenons l'exemple des jumeaux (utilisé par Bell dans ses recherches) : l'intrication ne consisterait, pour l'un des frères, qu'à faire savoir à son autre frère que quelque chose se passe. Il ne sait ni quoi exactement, ni si c'est en bien ou en mal. Pour avoir plus d'information, il leur faudra toujours passer par une voie classique comme le téléphone. La véritable télépathie (celle des films, encore une fois) consisterait non seulement à dire à son frère jumeau qu'il arrive quelque chose, mais aussi à dire précisément quoi. C'est donc comme si les jumeaux pouvaient se « tilter » l'un l'autre, sans but ni raison : c'est l'intrication.

Mais s'ils pouvaient également transférer des informations par la pensée, donc sans téléphone : c'est la téléportation. L'information joue ici un peu le rôle d'une troisième entité, en plus des deux frères : c'est elle qui est téléportée, en utilisant comme support la connexion présente entre les deux frères.

Avec nos photons, c'est un peu la même chose. Deux photons intriqués, comme expliqué précédemment, ne suffisent pas pour transporter des informations : il faut faire intervenir un troisième photon, c'est ce photon là qui subira une téléportation quantique. En pratique, on commence par générer deux photons intriqués puis on en envoie un au point de départ et l'autre au point d'arrivé. Ensuite, on envoie un troisième photon porteur d'une information quantique (décidée par les chercheurs, donc pas aléatoire, mais bien humainement exploitable) pour altérer le premier photon.

C'est ici précisément que l'on peut parler du phénomène de téléportation quantique : on observera alors que le deuxième photon sera lui aussi altéré, comme si lui aussi avait été percuté par le troisième photon.

Il suffit donc — pour simplifier — de faire un « calcul de différences » pour retrouver à l'arrivée, l'information portée par le troisième photon au point de départ. L'information sera alors passée d'un photon à l'autre, sans voyager ni se déplacer pour autant.

Une équipe de chercheurs de l'Université Northwestern a récemment réalisé une avancée spectaculaire dans ce domaine en réussissant à téléporter des données quantiques à travers un câble à fibre optique déjà utilisé pour le trafic Internet classique. Cette découverte ouvre des perspectives extraordinaires pour l'avenir des communications, avec des implications profondes tant pour la sécurité des données que pour l'évolution des réseaux mondiaux (Science&Vie 5 janvier 2025) La téléportation quantique est donc une technique de transmission d'information consistant à transférer l'état quantique d'un système vers un autre système similaire et distant, sans devoir transporter physiquement le système initial. En d'autres termes, c'est un moyen de transmettre l'information contenue dans un système quantique à un autre endroit, sans avoir à déplacer le système physique

En avril 2022, une équipe dirigée par le Dr Jian-Wei Pan a battu tous les records en réalisant une téléportation quantique sur une distance incroyable de 1 200 kilomètres grâce à un satellite. Leur étude innovante, publiée dans Physical Review Letters, a utilisé des photons intriqués pour transmettre des informations quantiques sur cette grande distance. Le satellite chinois Micius, lancé en 2016, est au cœur de ces expériences révolutionnaires. Micius crée des paires de photons intriqués et envoie l'un vers une station au sol tandis que l'autre reste à bord du satellite. Une autre étude menée par des chercheurs de l'Université Technologique de Delft et publiée dans Nature a montré une téléportation très précise entre deux points d'un réseau. Un gros défi reste cependant : gérer le bruit environnemental pour améliorer la qualité de la téléportation quantique. En mai 2024, des chercheurs des universités de Turku et Hefei ont découvert que certains types de bruit peuvent étonnamment aider à améliorer cette qualité. Grâce à une intrication hybride multipartite, ils ont réussi une téléportation presque parfaite. En juin 2024, sous la houlette du chercheur Guangcan Guo, ils ont atteint une fidélité proche de 90% malgré les perturbations extérieures. En parallèle, on étudie aussi comment le routage quantique via la téléportation pourrait bouleverser nos réseaux actuels.

Objectif : atteindre (et dépasser) une fidélité optimale

Les recherches pour obtenir une fidélité maximale continuent avec passion. En novembre 2024, des chercheurs des universités de Pékin et Hefei ont publié un rapport détaillant leur stratégie pour optimiser cette fidélité lors du transfert complexe d'informations quantiques. En septembre 2024, des chercheurs du Maryland et Cambridge ont exploré ce potentiel transformationnel. La téléportation quantique pave la voie vers des réseaux ultra-sécurisés grâce aux particules intriquées qui peuvent détecter toute tentative d'espionnage. De plus, elle pourrait faire exploser la vitesse du calcul quantique pour un traitement beaucoup plus rapide des données.

Egalement, des membres du Groupe de physique appliquée (Faculté des sciences) ont réalisé une téléportation quantique à travers 25 km de fibre optique. Selon l'article paru dans la revue Nature Photonics du mois d'octobre, le dispositif ayant permis cet exploit, dans lequel des photons sont «intriqués» avec un cristal, représente la forme la plus aboutie de ce que l'on appelle un «répéteur quantique». Un relais dont la mise au point est indispensable si l'on veut un jour développer un réseau plus vaste de communication quantique. L'application qui se cache derrière la réalisation d'un réseau de téléportation quantique est la cryptographie quantique, une manière inviolable de sécuriser la transmission de messages. Un domaine où le Groupe de physique appliquée se trouve à la pointe, comme en témoigne la remise du Prix Marcel Benoist 2014 à son directeur, le professeur Gisin.

Lévitation quantique. La physique quantique se joue à trop petite échelle pour qu'on puisse la voir... sauf dans un cas où elle peut se voir à l'œil nu : dans les supraconducteurs. Phénomène spectaculaire, la supraconductivité permet le mouvement perpétuel, le stockage d'énergie parfait, et même la lévitation quantique. Au cœur des ordinateurs quantiques les plus performants, elle vient même d'être observée il y a quelques mois presque à température ambiante dans des matériaux à base d'hydrogène. Venez découvrir ce phénomène étonnant, les questions qu'il suscite et ses applications présentes et à venir, avec en prime des expériences en direct (voir la vidéo ci-dessous avec julien Bobroff). 

Pour produire un effet de lévitation par la supraconductivité, il faut un socle constitué d'un matériau supraconducteur (comme un alliage de niobium et de titane par exemple) et au moins un aimant. Il faut aussi refroidir. Lorsque l'alliage atteint environ -200 °C, généralement par contact avec de l'azote liquide, il devient supraconducteur, c'est-à-dire qu'il qu'il perd complètement sa résistance électrique. L'aimant entre en lévitation car le supraconducteur crée un champ magnétique opposé à celui de l'aimant: c'est l'effet Meissner. La hauteur de lévitation dépend alors du poids et des forces magnétiques de l'aimant. Cette étonnante découverte a été faite il y a une centaine d'années par Kamerlingh Onnes. Ce physicien avait utilisé du mercure refroidi à l'hélium liquide comme supraconducteur. Aujourd'hui cette technologie est à l'œuvre dans de nombreuses machines à IRM ou, dans le monde des transports, avec le train japonais Maglev par exemple. À pleine vitesse, ce véhicule peut atteindre des vitesses de 580 km/h, de quoi relier Tokyo à Osaka en moins d'une heure.

Les secrets de la lévitation quantique (Le Monde) 

Le récent succès d'une vidéo spectaculaire appelle quelques explications. Une équipe de l'université de Tel-Aviv (avec le Français Guy Deutscher) a mis en ligne une vidéo présentant un effet étonnant où l'on voit léviter une grosse pastille au-dessus d'une surface. Surtout, la pièce apparaît en suspension aussi bien à l'horizontale qu'inclinée et semble comme figée dans cette position.

"C'est très intéressant et montre un effet quantique à notre échelle macroscopique", s'enthousiasme Julien Bobroff, enseignant-chercheur au Laboratoire de physique des solides de l'Université d'Orsay, qui lui aussi participe à des expériences aussi extraordinaires, comme cette tour Eiffel dont les trois étages lévitent. L'expérience est visible en ce moment au Trocadéro dans le cadre de l'exposition "Entrée en matière", les week-ends jusqu'au 30 octobre.

Comment ça marche ? Le socle est un aimant et la pastille est un matériau supraconducteur. C'est-à-dire qu'il perd sa résistance électrique à basse température. 2011 marque le centenaire de la découverte par Kamerlingh Onnes de ce phénomène sur le mercure refroidi avec de l'hélium liquide.

Mais avec de l'azote liquide, moins froid (vers - 200 °C) et plus facile à manipuler, des matériaux peuvent aussi devenir supraconducteurs. C'est le cas de celui utilisé par les Israéliens. La pastille lévite car elle crée un champ magnétique qui s'oppose à celui de l'aimant situé au-dessous. La hauteur dépend de l'équilibre entre son poids et les forces magnétiques.

Ce champ magnétique spontané a pour origine le déplacement des électrons du matériau qui se mettent à tourner en rond, formant des boucles de courant. Or un courant qui circule de la sorte crée un champ magnétique perpendiculaire au plan de la boucle. Et pour remonter encore plus loin dans les causes, il faut invoquer un effet purement quantique : dans le matériau, les électrons ne se comportent pas comme des individus mais comme une onde qui pour se "défendre" du champ magnétique de l'aimant se déforme en créant des boucles de courant, donc un champ magnétique. Qui plus est, comme il n'y a pas de résistance électrique, ces courants circulent indéfiniment (tant que la température reste basse...).

Cette capacité à expulser le champ magnétique est appelé effet Meissner et donne lieu à beaucoup de démonstrations spectaculaires comme un cirque ou un petit déjeuner supraconducteur réalisé dans le cadre d'une autre exposition, supradesign.

Mais pourquoi la pastille peut être bloquée dans différentes configurations ? L'effet précédent n'est en fait pas si parfait. Le champ magnétique de l'aimant n'est pas totalement expulsé du matériau supraconducteur. Il peut y pénétrer, transformant la pastille en gruyère avec des trous de quelques nanomètres de diamètre. Il ne faut pas voir ces trous comme de vrais "trous" dans la structure mais comme des défauts dans la mer d'électrons.

Le matériau est donc traversé de colonnes magnétiques qui laissent comme un empreinte indélébile dans le supraconducteur et "accrochent" à distance la pièce à l'aimant. L'astuce des israéliens a été de recouvrir leur pastille d'une mince couche supraconductrice pour laquelle ces colonnes magnétiques s'accrochent et se décrochent facilement. D'où le changement de position qui peut être observé en lévitation.

Plus d'explications (des vidéos et des "jeux") se trouvent sur le site supraconductivite.fr mis en place par le CNRS, la Société française de physique et le réseau thématique de recherche avancée "Triangle de la physique, pour fêter le centenaire de la supraconductivité".

Quand la science rejoint la science-fiction : De Newton à la téléportation quantique. Faire disparaître un objet d'un endroit pour le faire réapparaître ailleurs sans qu'il ne passe par un lieu intermédiaire, est-ce possible? Dès notre plus tendre enfance, nous apprenons que pour interagir avec un objet nous devons soit nous déplacer vers lui, soit lancer un autre objet contre lui. Toutefois, depuis Newton la physique nous a presque toujours présenté une vision du monde incluant une forme ou une autre de non-localité. La théorie de la gravitation universelle de Newton prédit, en effet, la possibilité de communiquer instantanément à travers tout l'Univers. La théorie quantique admet également une forme de non-localité, mais beaucoup plus subtile, sans possibilité de communiquer, le tout basé sur le concept de «vrai hasard». A l'occasion de la leçon d'ouverture du semestre de printemps, le professeur Gisin invite à la découverte de ces notions singulières. Autant de phénomènes incroyables qui ouvrent la voie à des opportunités fascinantes comme la téléportation quantique.