Nunzio Sulprizio : laïc de 19 ans canonisé
Nul besoin d'être vieux, religieux ou miraculeux pour être un saint. Nunzio Sulprizio, mort à seulement 19 ans, était un simple laïc canonisé par le Pape François. Un "saint du quotidien", qui découvrit dans l'amour de Dieu le sens de sa vie, misérable, mais riche en sainteté. Une sainteté qui se résume finalement à avoir suivi le Christ.
Biographie d'un homme doux et pieux. Nunzio Sulprizio était un jeune garçon comme beaucoup d'autres dans le royaume de Naples du début du XIXe siècle. Né le 13 avril 1817, l'Europe connaissait alors une grande famine, mais cette épreuve n'a pas été l'aspect le plus difficile de son enfance. Quand son père mourut, il n'avait que trois ans et deux ans plus tard, sa mère mourut également. Au milieu de ces tragédies, Nunzio a été envoyé chez sa grand-mère, mais elle est également décédée alors qu'il n'avait que huit ans. Il a pu supporter une telle perte, en partie parce qu'il prenait le temps d'assister à la messe, même encore petit garçon, apprenant à connaitre Dieu et à suivre l'exemple de Jésus et des saints et des saintes.

La douleur de perdre parents et grand-mère à un si jeune âge aurait semblé suffisante pour quiconque, pourtant l'enfant continua d'éprouver des difficultés dans sa vie, ayant été envoyé chez un oncle qui était violent et cruel. Cet oncle n'a pas permis à Nunzio d'aller à l'école et l'a plutôt engagé comme apprenti forgeron. Malheureusement pour le garçon, la réalité était moins celle d'un apprentissage que celle d'une servitude. Son oncle était dur avec lui, le battant souvent ou ne le nourrissant pas adéquatement, et si l'oncle croyait que son neveu avait besoin d'être réprimandé ou corrigé, il le traitait plus durement. Son bourreau le force également à travailler dans son atelier de forgeron-ferrailleur, largement inadapté pour un enfant de cet âge : c'est là que la vie de Nunzio commence à imiter le chemin douloureux de Jésus vers la croix.
Un jour, en 1831, la situation devint trop pénible pour Sulprizio. Son oncle l'envoya chercher du matériel dans les collines. Charges lourdes à transporter, de longues distances à parcourir à pied avec du soleil, de la pluie, du vent ou de la neige, mais surtout avec les mêmes vêtements à chaque saison. Nunzio, cependant, ne se plaint pas: il pense à Jésus et commence à offrir ses efforts pour racheter les péchés du monde et pour "gagner le paradis". Mais il revint un soir de ce travail épuisé, ayant une jambe enflée et une fièvre brûlante qui l'obligea à se mettre au lit. Le lendemain matin, il s'aperçut qu'il ne pouvait plus se tenir debout.
L'oncle n'eut aucune pitié, pas plus que les villageois qui lui interdisent d'utiliser la source du pays pour se soigner, de peur qu'il ne l'infecte. Nunzio trouve donc un filet d'eau à Riparossa, aujourd'hui considéré comme une source miraculeuse, où il passe beaucoup de temps dans la récitation du Rosaire. En raison de sa santé précaire, il fait face à une première hospitalisation à L'Aquila et il s'y fait connaître par tous les patients hospitalisés pour sa foi, pour les œuvres de charité envers les autres malades et pour les notions de catéchisme transmises aux enfants. Plus tard, il fut diagnostiqué comme atteint de la gangrène. Il devint très malade et, le 20 juin 1832, il entra à l'hôpital des Incurables à Naples pour se faire soigner, là où finalement il reçut Jésus Eucharistie pour la première fois.

La Providence met sur sa route un homme de Dieu, le colonel Felix Wochinger, un second père qui le prend sous sa protection et le fait soigner. Pendant un certain temps, Nunzio ira mieux. A sa sortie de l'hôpital, il s'installe chez le colonel, qui vit à Naples à Maschio Angioino, utilisé comme une caserne. Entre les deux s'instaure une belle relation père-fils, permettant à Nunzio d'approfondir sa foi. Il pense à la consécration, mais en attendant de devenir assez grand, son confesseur approuve pour lui une règle de vie qu'il suit scrupuleusement et qui prévoit de longues heures de prière, de méditation et d'étude, outre la messe le matin et le Rosaire le soir. Cette période de sérénité, cependant, est interrompue par l'exacerbation de la maladie et le diagnostic que pour Nunzio est une condamnation à mort: il s'agit d'un cancer des os.
Il restera alors hospitalisé pour le reste de sa vie. C'était une situation qu'il supporta néanmoins avec beaucoup de patience, en offrant sa douleur à Dieu. À l'hôpital, chacun est étonné de voir ce très jeune homme montrer une abnégation joyeuse, consolant les autres malades et leur rendant service. Parmi les malades comme parmi les ouvriers, il est le patient témoin du Christ. On lui attribue les paroles suivantes : « Jésus a tellement souffert pour nous et, par ses mérites, nous attendons la vie éternelle. Si nous souffrons un peu, nous goûterons à la joie du paradis. Jésus a beaucoup souffert pour moi. Pourquoi ne devrais-je pas souffrir pour lui ? Je mourrais pour convertir même un seul pécheur. » Cette foi et cette attitude l'ont amené à aider les autres autant qu'il le pouvait, notamment les patients à l'hôpital pour soulager leur misère.
Comme sa douleur persistait, les médecins décidèrent de lui amputer la jambe en 1835 et, même s'il s'améliorait parfois, sa situation devint sérieuse en mars 1836 ; sa fièvre et ses souffrances augmentaient. Nunzio se montre fort, jusqu'à la fin. Il console le colonel - qu'il appelle maintenant "mon papa" - avec la certitude de la promesse que les deux seront un jour en mesure de s'embrasser de nouveau au ciel. Nous sommes en 1836 et la situation est désormais désespérée : Nunzio souffre des très fortes fièvres qu'il affronte à travers la prière et l'offrande de ses souffrances pour les conversions et pour l'Église. La mort le libéra de la douleur le 5 mai, alors qu'il venait d'avoir 19 ans, mais non sans d'abord recevoir les sacrements. Autour de son corps, éprouvé par les plaies, se répand un incroyable parfum de roses.

Béatification et canonisation d'un "saint du quotidien". Des décennies plus tard, cette sainteté conduisit le pape Léon XIII à proposer Sulprizio comme un modèle pour les travailleurs. Lorsque le pape Paul VI le béatifia, le 1er décembre 1963, le Saint-Père le proposa également comme modèle pour les jeunes. Et c'est donc un simple parcours de vie que le pape François a finalement canonisé le 14 octobre 2018, pour être fêté tous les 5 mai comme saint des apprentis. Un acte très formel – la canonisation est acquise depuis la reconnaissance d'un miracle à l'intercession du jeune bienheureux, début juin – mais obligatoire : la canonisation engageant l'infaillibilité pontificale, il faut en effet que l'acte collégial du consistoire accompagne la décision du pape qui a singulièrement ouvert la voie des laïcs vers les autels

«Pour être saint, il n'est pas nécessaire d'être évêque, prêtre, religieuse ou religieux», «nous sommes tous appelés à être des saints en vivant avec amour et en offrant un témoignage personnel dans nos occupations quotidiennes». C'est, sans conteste, l'un des passage-clé de Gaudete et exsultate, l'exhortation apostolique du Pape François sur l'appel à la sainteté dans le monde actuel ; un document qui fait écho au chapitre V de la constitution conciliaire Lumen Gentium, et peut être relié à la vie de St Jean-Paul II, qui a toujours affirmé que «la vie de chaque jour et les activités communes étaient chemins de sanctification.»
La cause de béatification et de canonisation concerne un fidèle catholique qui, de son vivant, à sa mort et après sa mort, a joui d'une renommée de sainteté, de martyre ou d'offrande de sa vie.
Mgr Slawomir Oder, postulateur de la cause en canonisation de St Jean-Paul II, nous livre sa réflexion sur cette exhortation et revient sur le thème de la sainteté dans les pontificats du Pape argentin et du Pape polonais. "François est un Pape qui parle avec son cœur, et justement, de l'abondance de son cœur jaillit sa parole. Je suis frappé par l'actualité et l'enthousiasme que dégagent ces pages. Une parole qui accompagne toujours ce que le Saint-Père nous livre avec son magistère, mais aussi avec ses gestes. La sainteté s'inscrit parfaitement dans cette attitude de celui qui a rencontré le Seigneur et porte au monde la joie de cette rencontre."
QUESTION : Avec Gaudete et exsultate, François a renouvelé l'appel universel à la sainteté, un thème déjà très présent dans le pontificat de St Jean-Paul II. Pourquoi, selon vous, les deux Papes insistent-ils tellement sur ce point ?
Ce sont tous les deux des fils du Concile Vatican II qui a rappelé avec force au Peuple de Dieu, comme cela n'avait jamais été fait auparavant, la vocation universelle à la sainteté (…). L'Eglise est sainte, car elle est l'Epouse du Christ, mais elle est aussi la mère aimante qui porte ses fils à la sainteté. Nous devons accueillir cette invitation du Seigneur. C'est lui qui nous donne la vie; en elle, réside un dessein tout à la fois mystérieux et magnifique à réaliser. Pour le dire avec les mots de St Jean-Paul II: la vie chrétienne est une invitation à faire de notre existence un authentique chef-d'œuvre.
QUESTION : Ces deux Papes conciliaires, comme vous l'avez dit, soulignent peut-être aussi cela : la sainteté est certainement extraordinaire, mais elle se construit dans l'ordinaire, dans la vie quotidienne…
Oui, car la sainteté chrétienne ne se mesure pas à au caractère extraordinaire des œuvre accomplies, mais au caractère extraordinaire de la charité présente dans les petites choses vécues au quotidien. Comme l'a rappelé le Pape François dans son exhortation, la sainteté n'est pas réservée à un groupe d'élus à l'intérieur de l'Eglise, à des personnes sages, très cultivées, mais elle est un don de l'Esprit Saint qui souffle où Il veut, qui précède nos œuvres, nos pas, et qui, par sa présence, sanctifie la simplicité des gestes de chaque jour.
QUESTION : Karo Wojtyla et Jorge Maria Bergoglio se sont immergés dans le Peuple de Dieu, et ils en ont, tous les deux, souligné la sainteté. C'est donc cela qu'ils veulent souligner, que l'on ne devient pas saint en restant seul ?
C'est la chose la plus importante: les saints ne sont jamais seuls, car la sainteté est la relation constante avec Dieu et avec ses frères ! Il y a une belle histoire qui me touche profondément et qui reste dans mon cœur: Jean-Paul II était déjà âgé, et il ne pouvait plus parler. Une simple religieuse, accompagnant un groupe de pèlerins à l'audience avec le Saint-Père, a alors osé lui demander: «Saint-Père, que dois-je faire pour être sainte ?» Le Pape n'a pas dit un mot, mais il a simplement ouvert ses bras, l'a serré contre son cœur. C'est vraiment cela, la sainteté : les bras ouverts qui signifient l'accueil, la rencontre, le don, pour faire sentir le battement du cœur dans lequel se sentent la voix, le cœur, la chaleur et la tendresse de Dieu lui-même.

Il s'agit donc pour l'Église de canoniser l'engagement de toute une vie, ici dans la vie politique, là dans la maladie... Mais aussi, comme le relève François dans Gaudete et exsultate « chez ces parents qui éduquent avec tant d'amour leurs enfants, chez ces hommes et ces femmes qui travaillent pour apporter le pain à la maison ». Ce que le pape résume dans la belle formule de « la sainteté "de la porte d'à côté" (…) ou, pour employer une autre expression, "la classe moyenne de la sainteté" ».
Il est clair que par de petits moyens Nunzio a eu un effet puissant sur ceux qui l'entouraient, sur l'Église et sur le monde.
Conclusion. Chaque chrétien baptisé, à qui la sainteté a été transmise par le Christ, est donc bien appelé à être un saint auprès de Dieu. La sainteté est donc la vocation de chaque chrétien, et non un plan de carrière post-mortem. Dans ce contexte, l'Église n'est pas une autorité chargée de décider qui sont les saints, elle peut cependant, grâce au processus de canonisation, reconnaître que certaines personnes sont bel et bien saintes. Les saints ne sont pas non plus des êtres surnaturels et parfaits, mais bien des humains faillibles, qui sont parvenus à incarner le message des Évangiles. Ainsi, Charles de Foucauld a-t-il mené une vie d'excès avant de consacrer sa vie à Dieu et de devenir un modèle de sainteté par sa foi et son humilité. Devenir saint n'est pas renier son humanité.