Père René-Luc : Dieu en plein coeur

24/11/2025

René-Luc Giran était délinquant et il est devenu prêtre. Né d'un père inconnu, élevé par un gangster très violent, ayant levé la main sur sa mère, bouleversé à 14 ans par le suicide de son beau-père d'une balle en plein coeur peu après être sorti de prison, le Père René-Luc ("celui qui renaît à la lumière") change radicalement de trajectoire après avoir entendu le témoignage d'un ancien membre de gang converti au christianisme, le prédicateur américain Nicky Cruz

René-Luc Giran au centre

Ceci grâce à une petite dame, "Marido" (Marie-Dominique, une amie de sa mère) qui, tel un ange gardien, l'amène là pour recevoir l'effusion du Saint-Esprit, ressentant alors physiquement la présence de Dieu.

Il retrouvera son père inconnu à Lourdes, à 19 ans, chacun venant de son coté en pèlerinage le même mois. Sa mère lui avait caché certaines réalités sur son père, notamment ses problèmes avec l'alcool, ce qui expliquait son absence et l'ignorance de son existence. Lors de leurs retrouvailles, son père lui a parlé de sa vie et des difficultés qui avaient marqué sa relation avec la mère de René-Luc, ce que ce dernier a compris comme une délicatesse maternelle pour ne pas altérer son image de son père durant l'enfance.

Il crée alors l'association En Plein Cœur, qui organise des conférences en France et à l'étranger, produit des vidéos de formation sur les réseaux sociaux, publie des livres, organise des camps de Kite&Pray qui allient la spiritualité et le kitesurf, investigue sur le Linceul de Turin… 

Il exerce aujourd'hui son ministère dans la paroisse étudiante Sainte-Bernadette de Montpellier et à l'école de mission diocésaine CapMission qu'il a fondée, au bénéfice des jeunes. Ses interventions dans des médias religieux comme "Le Jour du Seigneur" restent des sources majeures de ses témoignages forts, basés sur son vécu, sa foi intense et sa capacité à communiquer l'espérance, la lumière dans la foi.

Dieu n'appelle pas les meilleurs, mais rend meilleur ceux qu'Il appelle. (Père rené-Luc)

Témoignage (extraits du livre Dieu plein coeur)

La conversion

"Marie-Dominique continue de veiller sur mon évolution spirituelle. Pour autant, après ma conversion, je ne suis pas devenu un ange, loin s'en faut. Je ne le suis pas et je ne le serai jamais. Je traîne encore en moi mon sale caractère, dont on peut aujourd'hui constater les manifestations sur les terrains de foot. Il ne faut pas trop me chercher en effet, car j'ai une fâcheuse tendance à répondre du tac au tac, ou plus exactement "du tacle au tacle".

Après ma conversion, j'ai mis beaucoup de temps à faire mourir 'le vieil homme'. Toute la violence accumulée depuis mon enfancen'était pas encore sortie de moi. Dur et méprisant, j'étais. Plusieurs fois, j'ai poussé à bout ma pauvre Marie-Dominique, elle qui avait tant fait pour moi. J'étais en pèlerinage, elle vivait par moments un calvaire. Qu'elle soit bénie pour sa patience, cette merveilleuse Marie-Dominique: je lui dois les premiers pas de ma vie en Jésus! (...)

La vocation

Quelques semaines après mon retour de l'ermitage, je constate que la lumière a parfois du mal à se frayer un chemin dans nos ténèbres. Je traverse en effet une période difficile dans le domaine qu'on nomme pudiquement celui de la pureté. Je m'en ouvre à mon père spirituel, le prêtre que j'ai choisi pour m'aider à progresser sur mon chemin de foi. Il me rassure: il faut un peu de temps pour faire mourir le vieil homme et revêtir l'homme nouveau.

Je suis rassuré mais le trouble demeure. Alors je demande à quelques amis de prier pour moi. Nous allons dans un petit oratoire, et je me mets à genoux devant le tabernacle. L'un d'eux, Jean-Marc, se saisit de la Bible, qu'il ouvre au hasard. Le hasard n'est-il pas le moyen que Dieu utilise pour agir en secret? Il me lit le texte qu'il "reçoit". 

il s'agit de la fin de l'évangile de saint Jean, où Jésus ressuscité demande par trois fois à Pierre s'il l'aime. Pierre est vraiment mal, il vient de renier le Christ par trois fois. Pourtant, avec un culot confondant, il n'hésite pas à répondre: "Seigneur, tu sais tout, tu sais bien que je t'aime." Et par trois fois, Jésus lui confie la charge de s'occuper de ses brebis.

Ce texte du chapitre 21 de l'évangile de aint Jean est souvent lu lors des ordinations sacerdotales, mais je ne le savais pas. Parmis nous, il y a un prêtre. À la fin de la prière, alors que nous sortons de l'oratoire, il me prend à part:

- René-Luc, as-tu déjà pensé à devenir prêtre?

- Oui, je me suis déjà posé la question, mais je ne sais pas... Avec tout mon passé, je ne sais pas si Jésus peut appeler quelqu'un comme moi. Pourquoi tu me demandes ça?

- Eh bien, pendant la prière, je ressentais dans mon coeur que Jésus t'appelait à la prêtrise. Et lorsque j'ai entendu le texte qui t'a été donné, j'ai pris ça pour une confirmation. Ce texte, c'est l'envoi officiel de Pierre comme prêtre. Voilà, je te le partage tout simplement, mais bien sûr, cela ne t'engage à rien.

J'avais demandé la prière parce que je me sentais indigne, et voilà qu'en retour, je recevais comme un appel de Jésus à le suivre d'encore plus prêt, pardon, près! Dieu n'appelle pas les meilleurs, je suis bien placé pour le savoir, mais Il nous demande de donner le meilleur de nous-mêmes! Je remercie le Seigneur pour la parole de ce prêtre, il m'a tout simplement tendu la perche et je l'ai saisie. 

Trop souvent, et je me mets dans le lot, nous n'osons pas appeler les jeunes au sacerdoce car nous voulons respecter la liberté de chacun, et parce que nous sommes conscients de la difficulté du sacerdoce aujourd'hui. Pourtant, il faut nous poser la question suivante: si personne n'appelle, comment les hommes pourraient-ils y répondre?

Forteresse San Giacomo sur l'île d'Elbe

Prison à perpétuité

Lorsque nous partons en mission, nous expérimentons souvent cette parole: c'est en donnant que l'on reçoit! Il y a un lieu où je reçois toujours beaucoup lorsque je suis invité à y parler: la prison. Je ne résiste pas à la "tentation" de vous raconter ce que j'y ai vécu en mai 2007, alors que je finissais d'écrire ce livre. C'est, jusqu'à ce jour, l'une des missions les plus exceptionnelles de ma vie. 

Un an auparavant, j'avais rencontré Martina au cours d'une mission à Florence, en Italie. Elle avait été touchée par mon témoignage. Elle était professeur dans une école un peu spéciale, l'école du fort de San Giacomo. Une prison sur l'île d'Elbe, mais rien à voir avec la prison dorée de Napoléon. La grande majorité de ces 140 détenus y sont condamnés à perpétuité pour meurtre. 

Cette prison est tristement célèbre en Italie à cause de la révolte de 1985. Trois parrains de la mafia y avaient pris en otage une femme médecin et deux infirmières qu'ils avaient attachées aux fenêtres de la prison et arrosées avec de l'essence. Avec un briquet, ils avaient menacé de les brûler vives si on ne leur envoyait pas un hélicoptère. Il avait fallu l'intervention du GIGN pour que tout rentre dans l'ordre.

Depuis lors, la direction de la prison a cherché des moyens d'apaiser des tensions. Un lycée a donc été ouvert au sein même de la prison pour donner aux détenus quelques rudiments d'école et de culture. Il compte cinq classes. Une vingtaine de détenus y sont inscrits. Marina donne un cours de religion. En Italie, dans tous les lycées, y compris publics, une heure de religion par semaine est proposée. Cela fait partie du programme normal, même si cette heure est facultative. Martina m'a ainsi proposé de venir témoigner, ce que j'ai accepté bien évidemment. (...)

Martina m'explique qu'elle a voulu saisir l'occasion de ma venue pour faire quelque chose d'inédit: un chemin de croix joué par les élèves détenus, au coeur même de la prison. Je devrai annoncer chacune des stations. Puis entre la station de la mort de Jésus et de sa résurrection, je donnerai mon témoignage. (...) 

Nous nous installons dans une classe. Martina a soigneusement réparti les déguisements sur les petits bureaux. Chacun le sien. Tout y est: casques, sandales, cuirasses, jupettes rouges pour les soldats romains. Belles tuniques avec leur coiffe pour les grands prêtres. Robe blanche pour Pilate. Les tuniques pour les apôtres et les femmes, les voiles... Elle a dû remplir des dizaines de formulaires  pour faire entrer tout cela dans la prison.

Père René Luc avec son père retrouvé

Les enseignants ont tous accepté de participer même les non-croyants. Les détenus arrivent. Je les salue un par un. Ce qui frappe d'emblée, c'est qu'ils sont souriants, aimables. Rien à voir avec l'image habituelle des tueurs. D'ailleurs, le fait même qu'ils aient choisi de faire des études en prison montre leur désir d'avancer, de montrer leur résolution de bonne conduite. Nous nous asseyons tous sur les tables. Martina nous fait face, devant le tableau. À 32 ans à peine, elle dégage beaucoup d'assurance. Et il en faut pour enseigner ici. Mais elle dégage aussi et surtout beaucoup de tendresse. 

Cela fait déjà 8 ans qu'elle travaille dans cette prison. Elle a de l'affection pour ses élèves comme si chacun était un membre de sa propre famille: frère, père, fils. Je perçois tout de suite combien les détenus l'apprécient aux aussi. Elle obtient facilement le silence et commence par une recommandation. Dans un sac en plastique, il y a des cordelettes que les acteurs se noueront  autour de la taille en guise de ceinture pour les déguisements. Elle en prend une et la tend entre ses deux mains:

- Ragazzi! Pour les déguisements, il y a 24 cordelettes. Elles sont toutes répertoriées. Mi racommando! Je dois absolument en restituer 24 à la fin.

Le ton est donné. Une cordelette s'enroule trop facilement autour d'un cou. Le sien ou celui du voisin... Les détenus acquiescent. (...)

Puis Martina rappelle à chaque acteur quel sera son rôle dans chaque scène. Elle commence par décrire la première station avec le baiser de Judas qui a trahi Jésus. Aucun détenu ne veut endosser le rôle du traître et c'est un enseignant, Paolo, qui accepte de le faire. (...) Paolo est gêné. Si tous ces hommes sont là, c'est parce qu'ils sont tous été livrés par un Judas. Martina passe vite aux autres scènes. 

Je m'approche du premier détenu, celui qui joue le rôle de Jésus.

- Ton prénom?

- David.

David est irlandais. Catholique, cela va de soi. Il a tout juste 33 ans, comme Jésus lors de sa crucifixion. Il est grand et porte une barbe soigneusement taillée. Comme Jésus. Il a été condamné à 30 ans de prison car il a été tué trois personnes alors qu'il était enfariné de cocaïne. Pas comme Jésus. Arrêté par Interpol, il a fait la une des journaux en Italie pendant pas mal de temps. Il ne lui reste "que" 17 ans à purger. Quand il sortira, il aura 50 ans. David a fait un chemin de foi assez étonnant. Dernièrement, il s'est confessé. La première fois depuis 20 ans ! (...)

Les stations s'enchaînent, comme dans le film de Mel Gibson. (...) Neuvième station: Jésus meurt sur la croix. David joue parfaitement Jésus. Il monte sur la marche d'une fenêtre  qui se trouve au fond du couloir, faisant ainsi face à tous les participants, à tous les gardiens, à toutes les cellules. Il avait dit auparavant à Martina qu'il voulait dire le nom de Dieu Père dans toutes les langues, car Dieu est le Père de tous, quelles que soient les races ou les religions. Soudain il ouvre ses bras en croix et s'écrie:

- Dio! Padre! Abba! Father! Vati! Mon père!...

Nous sommes presque tous à genoux, submergés par l'émotion. Le silence est saisissant. David descend alors lentement de la marche et s'étend de tout son long sur le dallage du couloir de la prison, face contre terre. Il étend ses bras en croix. Il n'avait pas prévenu Martina qu'il ferait ce geste, mais il avait prévu de le faire. Il veut manifester l'abaissement et la mort de Jésus. Sait-il qu'il adopte ainsi l'attitude exacte des prêtres le jour de leur ordination? (...)

Lorsque j'ai livré mon témoignage, nous concluons cette Passion du Christ avec la dernière scène, la Résurrection. (...)

Le mois d'après, je reçois une lettre de David dans laquelle il m'annonce fièrement qu'il a obtenu son bac et qu'il veut maintenant commencer l'université. Il m'écrit aussi: "Je voudrais étudier la théologie. Tu peux m'expliquer en quoi ça consiste?"... Que deviendra David? Que deviendront les détenus qui ont participé à ce chemin de croix? Dieu seul le sait. S'ils ouvrent sincèrement leur coeur à sa Présence, cette prison peut devenir pour eux un lieu de Résurrection. Le cri de David s'est envolé par-delà les barreaux: "Abba, Père"! Dieu les aidera, Il ne les abandonnera pas à leur destin."