Père Roger Riou : "le flibustier" de Dieu"

Enfant du banditisme, le Père Roger Riou (1909-1994) se retrouve en prison, puis est appelé par le Christ avant d'être ordonné prêtre missionnaire. Surnommé "le Schweitzer des Caraïbes", il fait des merveilles à Haïti pendant 22 ans, sur l'île de la tortue - la Tortuga de "Pirates des Caraïbes" - en redonnant joie et santé aux pauvres. Un retournement inouï que le "bon blanc" raconte "cash" dans son livre autobiographique Adieu la Tortue et dans le rare témoignage vidéo que voici.

L'ILE DE LA TORTUE : REPAIRE MYTHIQUE DE PIRATES DES CARAÏBES
Au VIIe siècle, flibustiers, boucaniers ou parias de tous horizons vont former, sur ce minuscule territoire du bout du monde, une société anarchique et libertaire. Au large de Port-de-Paix, en Haiti, l'île s'allonge en ovale sur 300 km2 parmi les flots mouvants. Pour les yeux du voyageur, elle apparaît comme l'enveloppe d'une gigantesque tortue qui laisserait sa carapace émerger de l'océan. Son nom lui a été donné par Christophe Colomb lui-même.

En 1640, le pirate Olivier Levasseur (dit "la Buse"), accompagné d'une centaine d'hommes, s'empare de l'île qui devient française. Il est nommé gouverneur par droit de conquête en août 1641. Il y fait construire le fort de la Roche surplombant le seul endroit où les navires peuvent appareiller. L'île devient alors un vrai nid de pirates, un repère infâme d'armes, de boissons et de femmes.

Le pirate Olivier Levasseur, surnommé "la Buse"
La Buse est notamment connue pour avoir pratiqué la piraterie dans les Caraïbes et dans l'Océan Indien. Sa plus grande prise fut sans conteste, celle de la Vierge du Cap : un navire amiral d'envergure de la marine Portugaise avec à bord d'innombrables trésors accumulés. On y trouvait diamants, bijoux, perles, or, vases, ce butin est estimé à 5 milliards d'euros, une prise colossale.

Plus tard il fut arrêté à Madagascar puis pendu pour piraterie sur l'île de Bourbon, aujourd'hui la Réunion. La légende voudrait que sur l'échafaud avec la corde au cou, La Buse aurait jeté un cryptogramme dans la foule offrant ainsi «Mon trésor à qui saura le prendre!». Aujourd'hui encore personne n'a réussi à déchiffré son parchemin, mais son trésor suscite bien des convoitises.
L'APPEL DU CHRIST POUR ROGER RIOU
Mais le mal des pirates a finalement été délogé de l'île de la Tortue, par la grâce de Dieu, comme la délinquance de Roger Riou a été retournée par Jésus alors qu'il était en réinsertion. C'est pourquoi il entre au séminaire à vingt ans, est ordonné prêtre dans les années 1930, puis rejoint la famille Montfortaine, congrégation catholique des missionnaires de Marie.

AVANT

APRÈS
Roger Riou est né dans une famille qui ne connaît que la misère. Le père était cuisinier sur les longs courriers, buveur et colérique ; la mère s'éreintait pour un salaire de misère ; le frère débardeur était toujours en tête des mouvements de grève, et la soeur se prostituait... Le père de Roger, cuisinier sur le paquebot Île de France, était également un communiste convaincu, tout comme sa mère. Ils éduquèrent leur enfant avec tant de rigueur que Roger vendait déjà le journal communiste L'Humanité sur les trottoirs à l'âge de 9 ans. À 12 ans, il militait au sein d'un groupe de jeunes communistes, apparemment convaincu que le communisme était la solution aux problèmes de l'humanité.

Il affronta la police dans la rue à 16 ans lors d'une grève au Havre, en 1926. Envoyé en maison de redressement, apparemment incorrigible et bagarreur, il se mit à lire l'évangile marxiste à une centaine de détenus, puis les entraîna dans une tentative d'évasion infructueuse. Cet épisode le conduisit à l'isolement, les poignets et les chevilles menottés. À la mort de sa mère, il sera encore arrêté pour avoir volé la caisse de son patron. Et c'est l'enchaînement: la prison à 17 ans et demi, le placement dans différentes familles (article du Time du 21 novembre 1960)

Le Havre, où Roger Riou flânait sur les quais
C'est alors que survient l'appel de Dieu - comme "un appel du large" -, progressif et intuitu personae, tel que Roger le raconte dans son livre :
ÉPISODE 1 : UN ABBÉ, L'ABBÉ FRUY
"La veille du jour où je devais partir en apprentissage, je suis allé trouver l'abbé Fruy. C'était un jeune abbé qui enseignait dans un des grands collèges de Lille. Chaque soir et chaque dimanche, il venait avec nous sur le terrain de jeux. C'était un exellent psychologue. Il avait le don d'attirer la confiance et les confidences. Nous avions tous besoin de nous confier. (...) Ce soir là, en pensant que j'allais me retrouver chez des inconnus, je me sentais plus seul que jamais. J'avais besoin de soulager mon coeur. Je lui ai déballé un peu toute ma vie. Il m'écoutait avec bonté. Puis je lui ai demandé de me confesser.

- Comment fait-on? lui dis-je. Je ne me souviens plus. depuis ma première communion et ma confirmation, j'ai oublié...
- Mais tu viens te confesser, dit-il. Tu n'as qu'à te mettre à genoux, je vais te donner l'absolution.
Je suis resté stupide. Je ne savais pas que c'était si facile. Une joie, une paix me submergeait. C'était nouveau pour moi. Je ne pensais pas que je me délivrerais si facilement de mon passé. Bien sûr, il me faudrait lutter. On ne se débarrasse pas si facilement d'une vie. Mais je ne me sentais plus seul. L'abbé avait dit :
- Le Christ, qui est mort sur la Croix, est avec toi dans tes difficultés comme dans tes joies... Il est aussi là, à l'église, tu peux te nourrir de son corps et de son sang...

Malgré le bonheur que ces paroles me donnaient, et mon désir de le garder, je n'arrivais pas à comprendre qu'un Dieu ait un corps comme le mien. Dieu était si loin.. J'ai posé à l'abbé toutes sortes de questions sur ce Dieu qui s'était fait homme pour finalement se laisser crucifier, et ressusciter. C'est dur avaler, de telles merveilles.
- Tu liras les Évangiles, me dit-il. Tu verras que Dieu est profondément humain, qu'il a une prédilection pour les pauvres, pour ceux qui souffrent. Il n'hésite pas à déclarer Je suis venu pour les pécheurs.
Il m'a raconté l'enfant prodique, et Marie-Madeleine la prostituée... Et j'écoutais, comme on écoute un conte merveilleux.

Avec un confrère sur le Canal du vent
ÉPISODE 2 : "APPRENDRE POUR NE PLUS VÉGÉTER DANS LA MISÈRE"
"Ce qui m'ennuyait plus, c'était qu'il n'y avait pas de cours pour ceux qui, comme moi, avaient fait des études jusqu'au certificat. La Maison n'était pas assez riche pour payer des professeurs. il n'y avait qu'une classe pour les illettrés. Souvent, mon vieux rêve resurgissait: apprendre pour ne plus végéter dans la misère. Trois ans après mon certificat d'études, je n'avais pas progressé, au contraire. J'avais beau lire tout ce qui me tombait sous la main, ça n'allait pas bien loin. Et cela me faisait mal au coeur de penser que pendant ce temps, d'autres, privilégiés, s'élevaient dans l'échelle sociale alors qu'ils n'étaient pas plus doués que moi au départ.

Apprendre au Havre comme ailleurs, c'est toujours une chance
Ce n'était pas de l'ambition, ni de l'arrivisme. Il faut avoir connu la misère pour savoir combien la société apparaît hiérarchisée. Du bas de la pyramide sociale, tout semble inaccessible. Et lorsqu'on est jeune, qu'on se sent plein de force, comment se soumettre à cet état de choses qui ressemble à une condamnation sans appel ? Lorsque je regardais mes camarades autour de moi, je pensais à mon père, à mon frère, et je me demandais ce que cette jeunese allait devenir... En fait, je ne le savais malheureusement que trop. Le monde ne changeait pas beaucoup.

Maître puis Abbé Stahl, fondateur et directeur de l'école de réforme
Quelque chose perçait en moi, pourtant. J'avais toujours vu les catholiques prôner l'acceptation de la misère. C'est pourquoi, chez nous, au Havre, nous les rejetions. Ici je voyais maître Stahl (Abbé, fondateur et directeur de l'école de réforme) faire don de sa personne aux autres, tâcher de nous sauver, de nous faire progresser, avec les moyens dont il pouvait disposer, dans cette société qui sans lui nous eût condamnés à la déchéance. Il ne se résignait pas, lui, et je comprenais son langage. Je songeais aux malheureux qui faisaient en ce moment même, à la maison de correction de Mettray, leur apprentissage du crime. (...) Sourdement, naissait en moi l'idée que c'était l'exemple des Stahl (...) que je devais suivre, si j'y parvenais un jour."

Conseil diocésain des jeunes au Havre de nos jours
ÉPISODE 3 : "ÇA M'PLAIRAIT BIEN D'ÊTRE PRÊTRE"
Ça m'amusait de livrer le pain. Je tirais un charreton, sorte de grande boîte couverte de tôle, avec un chien attaché dessous. Le chien et moi, nous tirions ensemble, entre 11h et 14h de l'après-midi. Un dimanche, en revenant de ma tournée, j'ai vu sur une maison une plaque : Jeunesses catholiques. J'étais si seul, au sein de cette famille impossible (de placement), que ces mots, qui me parlaient à la fois de jeunesse et de Dieu, m'ont fait battre le coeur. Je n'ai pas hésité à franchir le seuil de cette porte, et toute de suite, j'ai été admis. (...)
Pendant ce temps, chez le boulanger, on ne parlait que vocations, miracles, pèlerinages. Le curé venait souvent. Il parlait de la grandeur du prêtre. Il s'adressait aux enfants de la famille. Personne ne s'intéressait à moi. Alors un jour, à table, comme le curé venait de partir, j'ai dit :

-Moi, ça me plairait bien, d'être prêtre."
La sentence est tombée nette, tranchante :
- Comment ? Ah non ! Ce que disait M. le curé, ce n'est pas pour les voyous. Un voyou ne peut pas être prêtre. (...) On ne sait pas d'où tu sors. Tu n'as pas d'instruction. Tu ne sais pas où est ton père. Ta mère est morte on ne sait comment. Tu n'a même jamais été enfant de choeur. Tu as fait de la prison. Tu viens de la maison des voyous. Tu es un voyou!"...

"Les chiens ont été mes meilleurs compagnons"
ÉPISODE 4 : L'AMOUR DE LA FAMILLE LEMOINE
Resté seul avec moi, maître Stahl réfléchissait. Je lui posais visiblement un problème:
- On m'a dit du bien de toi aux Jeunesses catholiques. C'est pour ça que j'ai pris ta défense. Mais tu ne peux pas continuer à te faire mettre à la porte de partout. Mr Van de Wickèle va te chercher une autre place. C'est ta dernière chance de pouvoir travailler...
Cette dernière chance a été une grande chance. Pour mon troisième essai de placement, je me suis retrouvé à Fretin, village de la banlieue de Lille habité par des paysans et des ouvriers. Là, j'ai connu le bonheur. La famille Lemoine m'a accueilli comme un fils. Ils étaient très religieux, eux aussi, mais leur piété était généreuse, ouverte. depuis la mort de ma mère, je n'avais pas connu cette chaleur humaine qui donne sens à la vie. (...)

Roger Riou, Didier Fritel, une amie et Francine
J'avais été gâté par ma mère, si dure que fut sa vie. Elle était tout, pour moi. Combien de fois s'est-elle privée pour me donner tout ce dont j'avais besoin. Des livres, par exemple. Avec le peu d'argent qu'elle avait, elle m'en achetait. Ou alors, elle en empruntait à la contremaîtresse. Partout autour d'elle, elle demandait :
- Vous n'auriez pas un livre à prêter à Roger ? Il les dévore...
Grâce à elle, je me suis senti, pendant toute mon enfance, aisé, compris. Et chez les Lemoine, je retrouvais cette confiance, ce bonheur. Au lieu d'être relégué au-dessus du fournil, (...) j'avais une belle chambre, comme leur fils. Un bon lit, avec des draps. Tous les jours, la patronne faisait ma chambre, comme une mère attentionnée fait la chambre d'un enfant chéri.

La Maison d'arrêt du Havre (1860-2010) dortoirs et cellules
(Alors) quand j'ai parlé aux Lemoine de ma vocation, ils m'ont encouragé:
- Tu veux être prêtre, mais c'est merveilleux!
Ces paroles m'ont réchauffé le coeur, m'ont donné du courage. J'étais plein d'espoir, gonflé à bloc. (...) Je luttais même contre la tendre inclination qui me poussait vers la fille du boucher, une ravissante créature aux yeux de porcelaine dont j'étais sur le point, je m'en rendais bien compte, de tomber éperdument amoureux. (...) J'avais 19 ans. Je m'exaltais de consacrer ma vie au service de Dieu. Je me promettais de tout faire pour entrer au séminaire l'année suivante. (...) Je suis allé trouver le curé du village. Je lui ai parlé. C'était un brave homme de prêtre, un curé de campagne d'autrefois.
- Ben oui, m'a-t-il dit, la vocation, ça vient comme ça"...

Entrée au noviciat de Roger Riou
ÉPISODE 5 : L'ADOPTION DES PÈRES MONTFORTAINS
"À part les Lemoine, personne ne croyait à ma vocation. Maître Stahl lui-même m'a opposé un refus catégorique. Pourtant, je n'ai pas perdu courage. Dans notre entourage des Jeunesses catholiques, une religieuse m'a fait faire la connaissance d'un séminariste montfortain. J'ai lu le récit de la vie du fondateur de l'ordre montfortain, le bienheureux Louis-Marie Grignion, dit Montfort, près de Rennes en 1673, ordonné prêtre en 1700. Il consacra toute son activité aux pauvres des hôpitaux, aux mendiants, aux plus déshérités de la terre.

Saint Louis-Marie Grignion de Montfort
Le peuple l'appelait "celui qui aime tant les pauvres". Ses actes me transportaient d'enthousiasme : un soir d'hiver, trouvant un pauvre à demi-mort de froid sur la route, il l'avait pris sur son dos, l'avait porté jusqu'à un couvent de dominicains. Comme le portier refusait d'ouvrir, il avait crié: "Ouvrez à Jésus-Christ!" Ou un jour, dans l'hôpital où il était aumônier, il vit qu'on s'écartait avec répugnance d'un malheureux affligé d'un chancre. Il se mit à genoux. Il a sucé le pus. (...)

Les Missionnaires Montfortains sont des religieux (frères et prêtres) qui vivent en communauté, travaillent dans des Sanctuaires et Paroisses
La religieuse m'a mis en rapport avec les pères montfortains. Je n'avais rien dit à maître Stahl. Je voulais le mettre devant le fait accompli. Les pères m'ont accepté dans leur séminaire, sans aucune enquête. Ils ne savaient rien sur moi, sur mon passé. (...) Triomphant, n'osant encore croire à mon bonheur, je suis allé voir maître Stahl:
- Monsieur, je suis admis au séminaire...
- Tu es têtu, Riou. Je t'avais dit non. Tu as fait ton coup en douce. Tu m'as eu... (...) Mais tu vois, je ne me fais aucune illusion. Pour moi, il y a trois solutions. La première: tu seras mis à la porte au bout de 8 jours. La deuxième: au bout de 15 jours, tu en auras assez, tu partiras. La troisième et je suis sûr que c'est la bonne: tu vas te mettre dans quelques mauvais cas, et te retrouver à la maison de correction de Mettray jusqu'à ta majorité...
Depuis, nous avons souvent évoqué cette conversation.
- Comme on peut se tromper, parfois, répère pensivement maître Stahl, devenu l'abbé Stahl.

Père Roger Rieu revient à la Tortue pour lui dire adieu
C'est ainsi que j'ai quitté la boulangerie et la Maison de réforme, pour entrer au séminaire montfortain de Pontchâteau, près de Nantes. Les Lemoine se sont conduits avec moi comme des parents. Ils ont pris à leur charge tous les frais d'éducation du futur père Roger Riou qui n'étaient pas assumés par la communauté montfortaine. Maître Stahl, mon tuteur, ayant donné à contrecoeur son autorisation au bagarreur qu'il persistait à voir en moi, rien ne me retenait plus.
J'étais bien un peu triste quand j'ai quitté ma jolie chambre de la maison des Lemoine, quand j'ai dit adieu au petit cheval, à la charrette, à cet univers heureux, paisible, que j'avais enfin trouvé. Mais les Lemoine ont su me parler:
- Ce n'est pas gai de te voir partir, Roger. Mais tu as choisi ta voie, une voie difficile... Il ne faut pas regarder en arrière.
- Je sais, dis-je.
À la gare, on pleurait un peu, mais on souriait aussi. La seule fausse note, ç' a été une lettre de Ginette. Elle avait appris que j'entrais au séminaire. Elle m'a agoni d'injures: "Salaud, écrivait-elle, tu m'abandonnes pour te faire curé! Moi qui avais confiance en toi, tu me laisses dans les mains d'un jules..." Elle ajoutait, un peu pompeusement: "Avec toi, j'aurais pu être sauvée, tu préfères te faire curé pour sauver les âmes des autres!"
Je n'ai pas répondu. Comment lui aurais-je expliqué que je tournais définitivement le dos à la vie que j'aurais pu connaître avec une femme, quelle qu'elle fût?"

Roger Riou, avant son départ en Haïti, avec l'Abbé Stahl et André Jung
PÈRE ROGER RIOU ARRIVE EN HAÎTI EN 1938
En 1938, Roger Riou arrive à Haïti et y participe aux campagnes anti-superstition de 1939 et 1942 dirigées contre la pratique du vaudou. En 1947, il est envoyé sur l'île de la Tortue, à l'époque extrêmement déshéritée. Sur place il entame l'éradication de différentes maladies comme le pian, la syphilis, la tuberculose, la lèpre et l'infestation par des vers parasites. Il organise ensuite des conférences dans les pays francophones afin d'assurer une collecte de fonds pour ses œuvres.

Première traversée de Roger Riou, nouveau curé de la Tortue
«La Tortue était le dépotoir d'Haïti : c'était là qu'on envoyait tous les incurables pour s'en débarrasser, les fous, les syphilitiques, les lépreux, les tuberculeux.

La baie de Port-de-Paix
Sur ces voiliers en bois pays, on ne refuse jamais personne à bord. On y entasse les humains, les marchandises et les animaux jusqu'en haut de la coque. Ces bateaux de 6 à 10 mètres battent tous les records de poids et de contenance. Pour traverser les 12 km du Canal du Vent, une heure suffit par vent arrière, 6h par vent debout, avec des vagues de 7 mètres de creux: on vomit tant qu'on peut, en se passant une gamelle en famille.» La traversée reste toujours aussi mouvementée : nous avons récemment échappé de justesse à un naufrage en 2017, un homme tombé à l'eau a pu remonter à bord alors que les mois suivants, des dizaines de voyageurs ont péri en mer.

Le bateau pour l'île de la Tortue
«À l'arrivée, la mer avait été forte, j'étais épuisé, vaguement malade. Et puis brusquement, le courage m'a envahi : ils étaient tous là, sur la plage, les yeux pleins d'espoir, ils savaient que le missionnaire médecin arrivait. Ces gens attendaient tout de moi, qui n'avait rien. J'étais seul, pauvre, mais j'étais devenu leur père.
L'Ile du Désespoir! Cette île abandonnée de tous, stupide de beauté inutile et insolente, elle allait me dévorer tout entier si je n'en faisais pas une terre heureuse…»

UNE OEUVRE INCROYABLE
Le défi était titanesque. Le père Riou constata que les 12000 habitants de l'île, à 10 kilomètres du continent, ne disposaient même pas des installations médicales les plus rudimentaires. À son arrivée, il croisa une paysanne qui, après avoir donné naissance à des jumeaux, coupait les cordons ombilicaux à la machette. Riou ouvrit alors un dispensaire rudimentaire et fut immédiatement débordé.

La nièce de Roger Riou, impuissante. L'enfant qu'elle porte va bientôt mourir.
Il construisit une pièce avec quinze nattes sur lesquelles les malades pouvaient s'allonger. De retour en France pour une quatrième année de médecine afin de compléter sa formation d'infirmier militaire, Riou est retourné en Haïti et a construit une deuxième chambre d'hôpital, puis des salles pour 70 patients, un sanatorium pour tuberculeux de 40 lits, un service psychiatrique, une maternité et un bloc opératoire, et même un fauteuil de dentiste où on arrache les dents.

C'est fait de bric et de broc, mais ça commence à ressembler à un hôpital
Situé au sommet de la bosse de 300 mètres qui donne son nom à l'île, l'hôpital missionnaire Notre-Dame-des-Palmistes du Père Riou traite chaque année 9000 patients atteints de tuberculose, de lèpre, de maladies vénériennes et de bien d'autres affections. Nombreux sont ceux qui viennent du continent pour être soignés qu'une auberge de jour est en cours de construction pour eux.

L'école d'infirmières
L'équipe de Riou était composée d'un couple de médecins français, de sept infirmières missionnaires suisses et de dix infirmières haïtiennes. L'hôpital dépense 1000 dollars par mois, provenant pour moitié de dons, pour moitié de patients qui peuvent payer (ceux qui ne le peuvent pas sont soignés de toute façon). Ses lits sont toujours occupés ; 60 patients externes sont soignés chaque jour, et il y a une file d'attente.

Ils sont guéris. ils apprennent.
De 1964 à 1969, il empêche le détournement de fonds dans l'envoi d'argent d'émigrés haïtiens aux habitants de l'île par des notables locaux, en centralisant l'envoi des paiements sur le père Boniface à Nassau (Bahamas) et réceptionnant lui-même à Haïti les sommes récoltées. Selon lui, il s'agit d'une des causes de son expulsion par la suite.

Médicaments, vivres, vêtements arrivent de Belgique et du Canada
Sa grande réussite dans cette île soulèvera le déchaînement des forces politiques contre lui. Il est arrêté en pleine messe et expulsé du pays. En 1969, il est forcé par les tontons macoutes de quitter Haïti sous le régime Duvalier de Papa Doc et est remplacé par le père Boniface, de Nassau. Mais rien ne l'arrête : il poursuit alors sa mission à Madagascar en s'occupant de personnes atteintes de la lèpre...

Le Père Roger Riou arrêté par un Tonton Macoute
Ainsi, qui aurait pu soupçonner ce coeur admirable sous la défroque du petit caïd de marché noir, d'enfant dévoyé? Le grand mystère, c'est l'amour, la fraternité entre tous les hommes de bonne volonté qui luttent ensemble, coude à coude. La vérité, c'est qu'on ne peut rien faire tout seul, on est solidaire. Mais il ne faut jamais reculer, il faut se cramponner à son idéal.

Le dimanche à la Tortue
Après son séjour à Madagascar, il revient en France où il crée la Fondation Roger Riou - France, Belgique, Suisse et Canada – qui devient peu après Association Roger Riou. Actuellement, seules la France et la Suisse subsistent. Il soutient pendant un certain temps la congrégation montfortaine en Colombie et au Pérou. Il meurt le 28 février 1994, dans sa 85ème année.

Pour prolonger la réflexion, il est possible de lire Roger Riou, le flibustier de Dieu, bande dessinée parue aux Editions Fleurus, dans la collection : Croyants de tous pays.

Pour favoriser la réflexion en groupe
1. Toute une vie peut-elle se construire dès l'enfance? Peut-on juger de la valeur d'un homme en le voyant enfant?
2. Est-il permis de juger et de condamner un enfant, un adolescent et de conclure qu'il ne fera rien de bon de sa vie?

Liliane Van de Moortele distribue le lait, le matin
3. La délinquance des jeunes est-elle irrémédiable? Peut-on espérer quelque chose de bon du dernier des misérables? Les délinquants, les loubards sont-ils fréquentables?

Le sauvetage des enfants commence
4. Qu'est-ce qui a permis au Père Riou de s'en sortir ? Son aventure est-elle exceptionnelle? Comment l'extraordinaire peut-il naître d'une vie ordinaire? Qu'est-ce qui peut pousser un homme à aller au-delà de lui-même?

5. Quel Père pouvait être ce Dieu tout-puissant pour ces êtres dont le seul souci était de pouvoir manger, de pouvoir vivre? La Bonne Nouvelle, c'était d'abord qu'ils allaient être guéris. Peut-on annoncer l'Evangile directement à des hommes qui souffrent de la faim, de la maladie, de la misère, du manque d'amour?

L'équipement primitif de départ
6. Qu'est-ce qui vous faisait tenir le coup? - Le spirituel. Ma petite équipe était animée de la foi qui soulève les montagnes... Quelle place le "spirituel" tient-il dans votre vie? Avons-nous une foi à soulever les montagnes?

Au centre artisanal
7. La vérité, c'est qu'on ne peut rien faire tout seul, on est solidaire. L'union fait-elle la force? Avec qui faut-il être uni pour être fort?

8. Il ne faut jamais reculer, il faut se cramponner à son idéal. Pourquoi ne faut-il jamais reculer? Quel est votre idéal dans la vie? Etes-vous disposés à vous y cramponner?

9. Que pensez-vous de ce texte du Général Mac Arthur sur la jeunesse? Peut-il s'appliquer au Père Riou? Comment pouvez-vous l'appliquer dans votre vie?
La jeunesse n'est pas une période de la vie. Elle est un état d'esprit, un effet de la volonté, une qualité de l'imagination, une intensité émotive, une victoire du courage sur la timidité, un goût de l'aventure sur l'amour du confort. On ne devient pas vieux pour avoir vécu un certain nombre d'années. On devient vieux parce qu'on a déserté son idéal. Les années rident la peau. Renoncer à son idéal ruine l'âme. Jeune est celui qui s'émerveille et s'étonne. Il demande comme l'enfant insatiable : et après ? Il défie les événements et trouve la joie au jeu de la vie. Les préoccupations, les doutes, les craintes et les désespoirs sont les ennemis qui lentement nous font pencher vers la terre et devenir poussière avant la mort. Vous êtes aussi jeune que votre foi, aussi vieux que votre doute, aussi jeune que votre confiance en vous-même, aussi jeune que votre espoir, aussi vieux que votre abattement. Vous resterez jeunes tant que vous resterez réceptif, réceptif à tout ce qui est beau, bon et grand, réceptif aux messages de la nature, de l'homme et de l'infini. Si, un jour, votre coeur allait être mordu par le pessimisme et rongé par le cynisme, puisse Dieu avoir pitié de votre âme de vieillard.

La Tortue est un bloc de rocher: la terre, il faut la chercher!

L'agriculture avant...

L'agriculture après !

Un barrage réalisé par l'agronome Cazal

Le village des palmistes

Les malades affluent, les moyens manquent