Témoignage du miracle de la vocation : Soeur Moïsa
Soeur Moïsa - Céline Leleu - est Docteure en théologie, membre du comité de rédaction de la revue Vies Consacrées, soeur des Fraternités de Jérusalem. Elle témoigne de sa vocation pour Dieu, qui est "l'histoire d'une évidence, d'une cohérence. Dieu ne nous fait pas être ce que nous ne sommes pas, pour nous dire 'tu dois devenir ça, et complètement changer ta vie'. Notre vocation, c'est ce pour quoi nous sommes faits, non pas prédestinés, mais ce que nous sommes véritablement, qui grandit, qui s'épanouit, qui nous rend vraiment heureux."
(Serviteurs 44 "Il suffit d'aimer!" 2006) "Être présentée comme une intellectuelle, cela me fait quand même un drôle d'effet, et pour ne pas tout à fait démentir le Père Nicolas, j'ai quand même pris un petit papier, histoire de ne pas me perdre en route. Si ça se trouve, je ne le regarderais même pas en route. Alors on m'a invité pour raconter ma vocation, comment tout d'un coup ou pas tout d'un coup, on décide d'entrer chez les Soeurs.
Alors d'abord, je voudrais vous dire une chose : jamais j'en ai rêvé. Jamais, tout petite dans mon lit, je me suis dit "super, je serai Soeur, je serai toute à Jésus et ce sera magnifique, formidable... Du tout ! Pour moi, les Soeurs, c'était les 'bonnes Soeurs', les pauvres vieilles filles qui avaient rien trouvé d'autre à faire dans leur vie, et qui du coup étaient coincées dans un couvent. Moi, j'étais dans une école catho, il y avait aussi des Soeurs, elles étaient pas en habits, donc c'était pas un univers que je connaissais, et c'était pas en tout cas une vocation qui me parlait, qui m'appelait, qui m'attirait, pour la simple et bonne raison que le Seigneur n'était pas très présent dans ma vie.
J'ai pas une histoire de conversion radicale, extraordinaire, vous savez la vie qui tourne, les choses qui s'écroulent, et du coup une rencontre magnifique avec le Seigneur. Je suis baptisée depuis que je suis toute petite, bébé, j'ai grandi dans une école catholique, dans une famille catholique, j'ai reçu tous les sacrements, mais pourtant Jésus n'était pas présent dans ma vie. Je n'ai pas ouvert mon coeur à sa présence, et puis pour moi c'était un peu une tradition Jésus, quoi, l'église ben oui je suis dedans, Jésus ben oui c'est le fils de Dieu et alors ? Ça me fait quoi dans ma vie à moi ?
Et puis la vie peut continuer comme ça un certain temps, j'avais à cette époque là 16, 17, 18 ans, mais y a un jour quand même où se dit 'ça veut dire quoi ?' Qu'est-ce que je cherche ? Qu'est ce que je veux ? Le sens, il est où ? Et quand on a un grand pépin dans sa vie, où est-ce qu'on trouve la source de la joie ? Et quand on a des toutes petites joies qui s'accumulent, où est-ce qu'on trouve la vraie, la grande joie ? Celle qui passe pas, celle qui s'en va pas, celle qui déçoit pas? J'ai vécu beaucoup de choses très belles dans la vie, et y avait souvent des moments où je me disais 'et après? Et puis ça, si ça s'en va, si ça dure pas? Moi, je veux quelque chose qui tienne, qui dure, qui me rende heureuse, pleinement heureuse.' Et ça, ya pas de secret, y en a qu'un seul qui peut le donner. C'est qui ? C'est Jésus.
Il peut le donner dans des tas de vocations différentes, je suis pas en train de vous dire que pour être heureux, pour être chrétien, il faut être bonne Soeur, un voile blanc sur la tête, un habit bleu etc... non. Mais il faut donner la main à Jésus, et le suivre avec toute sa vie et tout son coeur, ça c'est sûr. Mais ça j'avais pas compris, j'avais pas du tout compris. J'avais simplement très soif. Maintenant je sais que cette soif, c'était la source de mon baptême, qui ne demandait qu'une chose, à remonter, à rejaillir, alors qu'elle était dans un petit coin, tout au fond, et ça croupissait un petit peu, au fond de tout ça.
Alors, une vocation, c'est l'histoire de quelque chose de très cohérent, parce que je ne crois pas du tout que Dieu nous brise, nous transforme, nous dise tout d'un coup 'Toi, tu seras Soeur!' Paf ! Tout d'un coup, comme le crapaud qui se transforme en princesse etc... non. Dieu construit avec nous, avec notre liberté, petit à petit, l'aventure de notre vie et de notre sainteté. Mais encore faut-il s'y ouvrir petit à petit. Ça passe par des évènements, un peu différents dans la vie de chacun. Pour moi, ça d'abord été ces soifs non résolues, qui m'ont conduite petit à petit à dire au Seigneur 'Écoute, j'ai soif, j'ai soif, mais de quoi? Est-ce que ça serait pas de toi, nom d'une pipe ? Et si c'est de toi, où est-ce que tu es, qu'on te rencontre!' J'avais des amis qui disaient 'avoir rencontré Dieu'. C'est une citation avec des guillemets... Rencontrer Dieu, je veux bien, mais comment on fait? Faut faire quoi, faut prier, comment on fait pour prier?...
Et puis j'avais un petit souci : je suis restée très très très longtemps sans me confesser, parce que j'avais peur, parce que j'étais bloquée, parce que j'étais coincée. Je suis restée 7 ans, c'est long quand même quand on a 20 ans, ça fait presque la moitié de sa vie, je suis restée 7 ans sans me confesser. J'avais quand même pas tout plaqué, car j'allais très souvent à Lourdes, pas pour prier, pas pour la messe, mais parce que j'aimais beaucoup être au service des pèlerins, au service des malades. J'allais beaucoup aux piscines, ça c'est resté après, jusqu'à ce que je rentre aux Fraternités de Jérusalem.
Et puis un jour à Lourdes, je me suis mise à genoux devant la Sainte Vierge dans la grotte, et puis j'ai dit : "Écoute, Marie (je préférais passer par Marie, bref, c'est plus facile...) , puisque tu peux tout auprès de ton Fils, demande Lui pour moi un signe, que je sache ce que je vais faire de ma vie.' J'ai sauté un épisode, je fais un tout petit flash-back, pour vous dire qu'il y avait aussi une personne qui est à l'origine de l'ouverture de mon coeur, en négatif d'abord. Cette personne s'appelle Claudine, c'était un an avant, on étaient amies, il y avait un décalage d'âge quand même, j'avais 20 ans et elle en avait 34 ans. Elle est morte d'un cancer après avoir lutté pendant 3 ans. Moi, ça a été le truc qui m'a mis par terre. J'ai dit 'mais non, vraiment la vie n'a pas de sens, et si Dieu existe, comment il peut permettre un truc pareil?' C'est fréquent comme questionnement, mais pour moi, ça a été vraiment décisif.
Donc quand j'étais à Lourdes et que j'ai prié, il y avait derrière à la fois cette soif, en creux, ce sentiment de ne pas trouver quelque chose qui vous donne la vraie joie, qui vous comble, qui demeure ; et puis aussi un peu ce sentiment de révolte, de grande, de profonde tristesse - pas dans la vie comme ça, parce que j'ai toujours eu bon moral et tout - mais quelque chose au fond qui vous dit 'mais pourquoi, et comment on trouve le chemin de tout ça?' On revient à la grotte... Puisque tu peux tout auprès de ton Fils, demande Lui pour moi un signe, pour que je sache ce que je vais faire de ma vie. Faut se méfier... Parce que lorsqu'on demande un truc à la Sainte Vierge à témoin, elle nous prend au mot !
Je lui ai demandée ça, et puis je lui ai demandée la force d'aller me confesser. Pour ceux qui connaissent Lourdes, j'ai pris des lacets pour aller à la Chapelle des confessions. Maintenant elle est en bas, mais à l'époque elle était en haut. On laisse pas d'un coup, d'un seul, tous ses blocages derrière soi ! Alors j'essayais de voir la tête des curés qui étaient dans les confessionnaux. Trop vieux... Trop gros... Trop laids... On fait ce qu'on peut, hein ?... Mais y en a un que j'ai pas vu, c'est bien que je l'ai pas vu, il était hyper accueillant, mais vraiment il a dit au revoir à la personne qui était juste avant moi, de façon très chaleureuse. Donc je me suis dit 'c'est bon, j'y vais'. Je me mets à genoux, je me confesse, je n'avais pas tué un homme, y avait rien de particulier. Mais j'ai quand même dit la douleur d'avoir été séparé du sacrement durant 7 ans, puis voilà, rien de très spécial.
Puis à la fin de la confession, il me regarde et il me dit : 'Qu'est-ce que vous allez faire plus tard?' Je lui dis 'je sais pas, là je pars en Égypte pour continuer mes études d'histoire du Moyen-Orient et d'arabe'. (Le prêtre) : 'Ah bon bon, très bien! Et vous n'avez jamais pensé à être religieuse?' C'est dire qu'il n'y allait pas par quatre chemins... 'Ah ben non. D'un autre coté, quand vous êtes dans une école catholique, je peux pas vous dire que la pensée vous traverse jamais l'esprit, mais en gros on prie pour ne pas être appelée à la vocation religieuse ! (rires dans le public) Vous connaissez ça... 'Seigneur je t'en supplie ! Ne m'appelle pas à la vie religieuse !' Mais j'étais tranquille, j'ai pas beaucoup prié, parce que j'étais sûre que ça ne m'arriverait jamais.
Alors je lui répond ça, et il me dit dit : 'Bon... Est-ce que vous accepteriez de rencontre la Prieure du Carmel de Lourdes ?' Au début, j'ai rien dit, et puis : 'Pourquoi pas... mais pourquoi?' (Le prêtre :) Oh mais écoutez... On y va !' Il me prend sous le bras, c'était la fin des confessions, et hop il téléphone à la Prieure du Carmel en question, il me la passe au téléphone et elle me dit : 'Alors! Vous êtes en recherche!', avec son accent de là-bas, c'est pas le même qu'ici... c'est une blague hein... Je lui dis 'Non, non, non! (rires dans le public) Recherche, c'est vraiment le terme technique! Vous êtes une vocation possible pour la communauté! 'Non, non, non!' (La Prieure :) "Ben écoutez, venez quand même. (rires dans le public) On va faire connaissance' De toute façon ça m'intéressait de découvrir la vie contemplative, le Carmel à Lourdes, à la limite je ne savais même pas où c'était, pourtant c'est devant la grotte. Et quand j'ai vu ces murs... jusque là... c'était complètement fermé! J'y suis allé le soir après ça, pour savoir où j'allais mettre les pieds, j'avais un peu peur.. Et voilà...
Le lendemain, ou le surlendemain, je ne sais plus, j'y vais, il était convenu que je vienne après l'officine, et après je rencontrerai la Prieure. Je viens aux Vêpres, un petit peu en avance, je m'assieds dans la chapelle, c'était très calme, c'était très paisible, pourtant ce n'et pas un lieu qui est d'une beauté renversante, mais c'est très silencieux paradoxalement, alors que c'est juste en face de la grotte. Et puis les Soeurs arrivent petit à petit, elles ouvrent le rideau, y a une grille, c'est un vrai couvent, un vrai Carmel cloîtré. C'est hyper impressionnant, surtout quand on ne connait pas du tout et qu'on comprend pas ce que ça veut dire, c'est vraiment impressionnant. Et puis elles ont commencé à chanter les vêpres, et je me sui dit : 'Soit elles sont folles... toutes... Soit elles ont tout.' Et j'ai laissé peser un peu ça. Moi, j'avais pas de réponse, mais j'avais cette espèce de truc comme ça...
Très peu de temps après, ou le même jour dans cette chapelle, y a eu quelque chose de plus important. J'ai senti en moi - pas une voix, je ne suis pas Jeanne d'Arc - mais quelque chose qui disait : 'Ce que tu cherches, c'est là'. Très paisiblement, contrairement à ce qu'on pourrait penser, parce que 'Ce que tu cherches, c'est là'... J'avais 21 ans, j'avais envie de tout faire, sauf rentrer dans un Carmel, sauf me consacrer au Seigneur!... J'avais besoin de quelque chose, oui, qui me donne une joie pleine. Quelque chose qui soit tout. 'Ce que tu cherches, c'est là'. Voilà. J'ai accueilli ça. Et après, c'est à l'origine de ça, c'est tout un chemin, d'abord vers le Carmel, et puis ensuite concrètement, il s'est avéré que ce n'était pas ma vocation, et de toute façon comme vous savez, je partais en Égypte juste après.
Ce qui est vraiment beau, c'est que le Seigneur nous laisse entièrement libre, même après un truc comme ça, et y avait le paquet : le curé qui vous dit d'aller rencontrer la Prieure du Carmel, y a les voix intérieures, y a les machins, les trucs... C'est quand même un peu gros cette histoire. Oui, c'est un peu gros comme histoire, mais quand on est complètement sourd et complètement aveugle, faut des choses un peu grosses, ce qui m'est arrivé. Mais ça n'empêche pas la liberté. Après je suis partie en Égypte, parce que c'était mon programme universitaire. Le temps s'écoule, c'est ça?... Oui, mais il va vite s'écouler, vous allez voir!... Je suis partie en Égypte, avec toute ma liberté, et je l'ai utilisée ! Dans tous les sens, avec tous mes livres pieux, mes résolutions pieuses... D'abord, quand on est au Caire, ce n'est pas si facile que ça de trouver l'Eucharistie, faut vraiment être motivée au début, et puis après je l'étais plus du tout. Et j'ai fait l'expérience de ce que le Seigneur, dans l'appel d'une vocation quelqu'elle soit, nous laisse libre, de lui dire oui ou de lui dire non, de faire la route avec lui, ou de lui dire 'ben, je dois faire un petit détour par ailleurs'.
Alors des détours, j'en ai fait beaucoup, mais ce qu'il y a de beau, oui, vraiment de joyeux dans cette histoire, c'est que le Seigneur est patient, qu'Il est fidèle et qu'Il nous attend. Lorsque je suis revenue en France pour passer mes examens, le fait d'avoir coupé avec ce milieu m'avait un peu tourné la tête, j'avais aidé à tourner la tête aussi, tout ce qui aide à tourner la tête... C'est pas la peine de détailler, je pense que vous pouvez sous-titrer tout seul!... Je m'étais beaucoup éloignée. Et en rentrant en France, tout ça s'est mis petit à petit en ordre, une rencontre avec une autre Soeur qui m'a dit : 'Si tu veux mon avis -je lui ai pas demandé - faut pas que tu retournes en Égypte'. Mais de quoi elle se mêle ? Et puis je me suis posée à la Chapelle de la Vierge à Saint Gervais, puisque c'était une Soeur de Saint Gervais que j'avais rencontrée, et puis devant la Sainte Vierge - elle a été là à tous les moments importants de ma vocation - cela me semblait évident.
Et ce que je voudrais vous dire, c'est que l'histoire d'une vocation, à un moment ou à un autre, c'est l'histoire d'une évidence, d'une cohérence. Dieu ne nous fait pas être ce que nous ne sommes pas, pour nous dire 'tu dois devenir ça, et complètement changer ta vie, non. Notre vocation, c'est ce pour quoi nous sommes faits, non pas prédestinés, mais ce que nous sommes véritablement, qui grandit, qui s'épanouit, qui nous rend vraiment heureux."
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